UN RENDEZ-VOUS QUI TOMBE A L'EAU
Publié le 26 Février 2022
Il pleut depuis ce matin. Jusqu’à aujourd’hui, on a eu un bel automne. J’aime beaucoup l’automne, la douceur de son climat, le calme de la saison dans notre petite ville enfin abandonnée par les touristes – si souvent envahissants - la beauté de ses couleurs changeantes au fil des jours : le ciel passe du bleu dur de la fin d’été à un bleu plus tendre, sauf les jours de grand vent où le bleu lumineux du ciel couronne le vert doré ou le roux des arbres. Aujourd’hui, la pluie fine persuade les feuilles de se détacher avec délicatesse afin de tisser un tapis coloré au pied des arbres et dans les allées du parc. J’avais rendez-vous là avec Thierry, sur notre banc. « Notre banc », parce qu’on s’y est déjà retrouvé trois ou quatre fois le lundi matin avant l’heure de la rentrée. Profs au Collège Georges Brassens, nous avons besoin tous les deux de la sérénité de ces retrouvailles hebdomadaires, avant de nous faire à nouveau dévorer pendant la semaine par des élèves chronophages. On discute, on se raconte les week-ends en famille, appréciant secrètement ces conversations à deux, loin de la salle des professeurs, bruyante et sans intimité. Nos salles de classe n’étant pas au même étage, nous nous croisons rarement dans l’établissement. Aussi, me semble-t-il, nos rencontres du lundi matin nous rapprochent chaque fois un peu plus ! C’est le seul jour où nous commençons nos cours à la même heure, lui comme prof d’Anglais, moi de Français. Il ne m’a pas encore invitée à boire un verre, mais je sens que ça ne va pas tarder… Oh ! Que vais-je m’imaginer là ? Ce n’est pas parce que mon mariage ne ressemble plus à rien qu’il faut que je fasse des plans sur la comète…C’est l’automne qui doit me rendre nostalgique…
J’ai déjà fait trois fois le tour du jardin sous mon parapluie rouge, Thierry n’est toujours pas là. Ceux qui traversent le parc en se hâtant sous la pluie doivent se demander pourquoi je me complais à longer sans cesse les mêmes allées par un temps pareil !
Sur un banc, un journal, détrempé par l’averse, est ouvert à la page des mariages célébrés samedi à la Mairie : on y voit la photo des heureux époux, sans doute souriants, mais maintenant leur visage n’est plus qu’une bouillie informe… Dans ma tête, je fredonne la chanson de Brassens : « Les amoureux qui se bécotent sur les bancs publics… » Voyons, voyons, nous n’en sommes pas encore là ! Je crois que je fais un amalgame entre le nom du collège, la chanson qui me trotte dans la tête, le journal sur le banc… J’ai l’esprit troublé !
Oh ! Huit coups sonnent déjà au clocher de l’église ! je suis en retard ! Je ferme mon parapluie et sors en courant du jardin. La fraîcheur de l’eau du ciel me rafraîchit les idées, et je me retrouve sur le seuil du Collège, enfin prête à penser à Victor Hugo et à Notre-Dame de Paris, dont je vais parler ce matin à mes élèves…
Annie TIBERIO
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SUJET 2 :
LES CHAUSSETTES
Je me souviens de ce jour d’automne, en classe de sixième, au Lycée Calmette de Nice. Élevée dans le quartier Pasteur, petite fille de dix ans, j’ai toujours été entourée de familles modestes. Le jour de mon entrée au Lycée, je me suis trouvée plongée dans un monde inconnu, où les élèves étaient majoritairement issues de « bonnes familles » souvent enfants d’avocats, de médecins, de dentistes… Nous avions l’obligation de porter une blouse bleue par –dessus nos vêtements, ce qui faisait disparaître les classes sociales. Cependant, j’avais remarqué entre nous une différence flagrante : ces fillettes se trouvaient, pour la plupart, être chaussées de petites ballerines élégantes, souvent en vernis noir, et elles portaient, suivant l’âge ou la taille, des socquettes blanches ou des bas « de femme ». Moi, j’avais de gros godillots de couleur marron, avec des chaussettes en laine jaune, tricotées avec amour par Maman. Je crois que ce jour-là, je me suis mise à détester mes chaussettes jaunes…
Annie TIBERIO