LE GRAND PÉRIPLE

Publié le 1 Février 2022

 

Avec des extraits de Nadine et Inge

LE VOYAGE

Au cœur de la jungle amazonienne… Une moiteur touffue propice à la torpeur… Les rayons lumineux se fraient un chemin sous la canopée, irisent des perles d’eau… Les Rangers de Corinne s’enfoncent dans le sol boueux, où se mêlent brindilles, branches mortes, insectes en errance, reptiles en sursis… Les yeux mi-clos, lèvres frémissantes, les mains rivées sur un lourd sac à dos, elle avance. (Nadine)

Ethnologue de profession, elle a réussi le pari fou de monter une expédition afin de rencontrer une des dernières peuplades isolées du monde au cœur de la forêt brésilienne.

Avec elle trois aventuriers du même acabit. Raphaël le paléontologue, Vigo le cameraman et Diego leur guide.

La clairière, à la lisière de la forêt naissante, les décida pour installer leur campement de nuit. Très vite Corinne réunit quelques branchages pendant que les trois hommes installaient les hamacs en hauteur surmontés de leurs bâches imperméables.

Le soleil léchait l’horizon et les quelques nuages effilochés, étirés à l’infini commençaient à rougir.

Le silence n’était troublé que par quelques feuilles froissées suite au passage d’un singe auquel répondait le cri des perroquets.

Une toile tendue entre les arbres abritait la petite équipe occupée à préparer le repas du soir : une bouillie de maïs et des racines de manioc. Raphaël entama la discussion :

-Voilà dix jours que nous marchons, nous ne devons plus être très loin de la réserve des petits hommes repérée par avion.

Diego enchaîna,

-En fait nous devrions l’atteindre sous quatre jours. Il faudra traverser le fleuve Parra sur des radeaux que nous devrons préparer… Si la chance continue de nous assister.

Vigo qui ne disait rien jusqu’à présent intervint :

-Pourquoi voulez-vous que la chance nous quitte ?

Diego souriait,

- Espérons-le ! Mais leur agressivité est grande vis-à-vis de toute civilisation autre que la leur. Même si le gouvernement a édité, voilà plus de vingt ans, des lois les protégeant. Ces « Lois de la Capitale » qui nous valent tant d’hostilité de la part des responsables présents ici et tant d’obstacles auprès des administrations qui sont supposées les faire appliquer.

Corinne occupée à attiser le feu répondit sans lever son regard des braises,

-Le gouverneur ne plie que lorsque notre supérieur à Porto-Cruz intervient. Et après qui appliquent les décisions prises ? L’aventure c’est pour nous !

Le feu fut ravivé pour prendre le relais du soleil qui ne tarderait pas à disparaître. La nuit tombait très vite sous ces latitudes.

Les hommes se préparaient. Chacun déroulait sa couverture à proximité du foyer et s’allongeait sur un coude dans l’attente de la rituelle boisson du soir : le maté.

C’était le travail de Diego. Corinne appréciait particulièrement ce moment de détente,

-Quelle bonne idée, d’avoir pensé à apporter ces feuilles de maté. Depuis mon arrivée dans ce pays, j’avoue avoir succombé à ce petit plaisir du soir.

Les buissons à proximité remuèrent. L’alignement à l’ombre des grands arbres fut bousculé. Des formes humaines semblèrent se dessiner au travers des feuillages. Corinne essaya de rassurer la petite équipe. Les ballots déchargés étaient protégés par de grandes feuilles pour l’humidité de la nuit. De l’un d’eux dépassaient des instruments de musique.

-Jouons décida t’elle. J’ai lu qu’ils étaient très sensibles à la musique. Une parole supérieure peut-être ? Et puis, il est bien connu que la musique adoucit les mœurs. Les notes de la flûte et de la guitare s’élevèrent en une mélodie harmonieuse, apaisante.

Au travers des buissons, les formes humaines, parfaitement visibles maintenant, s’étaient accroupies, arcs et flèches entre les jambes, écoutaient, envoutées par l’intensité émotionnelle du Clair de lune de Debussy.

Pour combien de temps…

...

LA PISTE
Le jour se levait sur la jungle. Matéo une tasse de maté en main regardait la brume de la nuit se dissiper. La forêt grouillait de vie furtive, battements d’ailes, fuites précipitées, aras rouges et bleus traversant la piste avec leurs cris désapprobateurs. Seuls les singes s’étaient éloignés depuis longtemps de cette saignée. La transamazonienne se traçait dans la poussière et la fureur.

C’est la route de la fuite en avant. L’immense ruban qui traverse le brésil d’Est en Ouest, ondule de Belem à Patajà, serpente jusqu’à Santarem au travers de terres rouges et grises. C’est la route de ceux qui fuient la misère, les propriétés minuscules, les inondations qui ne fertilisent rien. Brusquement un col, une possibilité de s’installer : Mon Dieu, on est enfin arrivé !

Matéo est géomètre-topographe sur cet immense chantier. C’est lui qui dirige toutes les équipes du kilomètre 1600. Deux cent kilomètres en pleine jungle pour rejoindre la section Manaus à Realidade.

-Bon sang ! Ces camions-citernes qui auraient dû être là depuis deux jours ! Nous n’avons que trois jours de carburant pour tous ces engins !

Il va relancer la logistique, sachant qu’il se heurtera toujours à la même réponse.

-Ils sont partis Matéo ! Mais vous connaissez mieux que nous l’état de la piste non ? Alors ils vont arriver, patientez.

Il ne peut s’empêcher de penser avec tendresse à Corinne. Pourquoi a-t-il fallu qu’elle se lance dans cette aventure ? Ils étaient si bien ensemble. Il a suffit d’une brouille, insignifiante pour lui et qui aura provoqué ce point de non retour chez elle. Partie un matin pour retrouver ces peuplades reculées.

-Ce sont eux qui sont dans le vrai, lui avait-elle dit, pas vous avec vos moyens démesurés. Qu’elle lui manquait. C’était peut être pour ça qu’il était toujours en colère.

Ayant saisi une paire de jumelles Matéo aperçut le manège d’un bull qui abattait un énorme Hévéa Brasiliensis

-Mais qu’est ce qu’il fait celui là ?

Quand on pense à l’envolée des prix du caoutchouc !

Il descendit quatre à quatre l’escalier de son bungalow. Le fracas des énormes V12 Caterpillar s’installait.

Il fallait avancer un maximum avant la saison des pluies. Les fossés de part et d’autre ne suffiraient pas à absorber les trombes d’eau récurrentes.

Son quatre/quatre rejoignit très vite la zone de l’incident.

-Eh ! Arrêtez-vous, qu’est ce que vous faites ?

Le chauffeur surpris stoppe son engin et sort de la cabine.

-Patron, avec le talus, il ne demandait qu’à tomber cet arbre. A la première pluie il sera en travers de la route !

Matéo dût en convenir, la remarque était pertinente. Pourtant combien d’hectares défrichés de part et d’autre qui devaient accueillir ces paysans, voulus par le gouvernement, et qu’on ne voyait pas. Un arbre de plus ça l’interpellait.

-Alors ? Questionna le chauffeur, Je fais quoi ?

-Evidement, finissez proprement le travail !

Rageur, il claque la porte de sa voiture et retourne au campement. Face à lui le convoi de camions-citernes arrive avec force appels de phares dans le jour déjà installé.

Le premier camion s’arrête, des hommes courent. On descend un individu titubant, à moitié conscient.

- Encore un accident, bon sang des fous furieux ces chauffeurs, ils se croient tout permis.

-Je l’ai trouvé sur le bord de la piste, disait le chauffeur.

Matéo s’approche du groupe et reconnaît…Diego.

Leurs regards se croisent, Diego essaye de parler,

-Ah ! Matéo…Corinne… Les autres… Il faut y aller…Les tirer de là…

On le laisse se reposer, on lui donne à boire. Matéo ressent une très grande douleur dans la poitrine et le pire de tout c’est qu’il la pressentait depuis le début de cette aventure. Diego veut raconter.

Une voix saccadée... Le premier contact assez accueillant…Le campement découvert invisible sous les feuillages…Les enfants qui courent vers eux freinés par les mères et puis le sorcier qui voyait ça d’un mauvais œil…La caméra cassée… L’équipe jetée au fond d’une case en attendant l’avis des esprits… Lui avait réussit à s’échapper au petit matin.

Matéo attendra le rétablissement de Diego. Il ira, il faudra traverser la petite rivière en contre bas, et s’enfoncer dans la jungle…

La nuit se passe mal, il a un sommeil agité.

La brise se lève, elle ne tarde pas à s’imposer.

Elle descend des montagnes toutes proches et transporte avec elle une odeur de terre mouillée…

Ce n’est pas encore le cas ici pourtant des signes annonciateurs ne trompent pas, de fines gouttelettes commencent à tomber éclaboussant la poussière de la piste. Brusquement à quelques pas du bungalow, un coup de vent d’une vigueur inattendue fait virevolter les poussières en mini tornades et ébranle porte et fenêtres.

Les branches des arbres pratiquement immobiles jusqu’alors se mirent à remuer comme pour débarrasser les feuilles des gouttes qui les dérangent.

Puis il commence à pleuvoir pour de vrai, sans mesure. Le déchaînement de l’orage a interrompu tous les autres bruits. Le silence relatif fait ressortir le crépitement de la pluie de plus en plus intense.

Par endroits, la piste est traversée de ruisseaux en cru qui s’échappent vers les terrains en contre bas et se répandent parmi les herbes couchées…

L’horizon apparaissait illuminé par les éclairs qui déchirent le ciel tandis que roule le tonnerre…

« Il était comme paralysé, hypnotisé par tout ce vacarme. Il y prêtait toute son attention, cherchant à comprendre. Il se mentait à lui-même, il avait déjà tout compris. La rivière était sortie de son lit, elle s’était transformée en torrent, qui charriait avec elle tout ce qui se trouvait sur son chemin. » (Inge)

Et pourtant il faudra la traverser. Il trouvera la force et les moyens…

...

LA RUSE

Des hommes travaillent, courbés. Pantalons jusqu’aux chevilles, chemisettes nouées à la taille, chapeaux de paille…La tenue apparaît humanisée pour des esclaves arrachés à leurs destins.

Lorsqu’ils aperçoivent le petit convoi, un signe de la main et le travail reprend.

A la vue du père Raphaël en robe de bure, tous sont rassurés. Le convoi s’arrête enfin sur la placette centrale, face à « l’église » bâtie de pierres et couverte d’une toiture de palmes. Sur le côté une tour un peu plus haute munie à son sommet d’une cloche, don d’un précédent convoi, et recouvert lui aussi de palmes.

Un peu plus loin un local sommaire, plutôt un hangar sans murs mais couvert des mêmes palmes ressemble à une école.

Frère Pia apparaît sur le seuil de « son » église et souhaite la bienvenue aux voyageurs.

-Vigo, Dieu soit loué, tu es de retour, et s’apercevant de l’équipage au complet,

-Tu as réussi. Bienvenue à San Miguel. Vigo s’agenouille et embrasse les mains de frère Pia.

Père Raphaël prend la parole :

-Je me nomme Raphaël de las mesas et je suis père Dominicain. Père Arana, notre supérieur, a décidé de m’envoyer ici pour vous seconder.

-Dieu du ciel, tout cela pour notre petite mission ? Notre rôle de protecteur de ces malheureux serait-il enfin reconnu ?

-Vigo m’a fait part de votre manque de beaucoup de choses. Nous avons un petit chargement pour essayer de le combler et j’y ai rajouté…Père Raphaël soulève la bâche d’une des mules et décroche un petit tonnelet de vin de messe.

-Voilà ce qui doit manquer à vos offices !

-Trop… C’est trop… Dieu que cette journée soit bénie. Mais j’en oublie l’hospitalité, entrez, entrez vous reposer !

Soudain un brouhaha, des cris, un mouvement de panique…

Matéo ouvre les yeux. Un groupe de singes hurleurs se poursuit là-haut sous la canopée.

La moustiquaire sur son hamac de lianes est déjà recouverte de ces maudits moustiques. Il fallait s’en protéger toute la journée. Lorsqu’il marchait il avait équipé son chapeau d’un voile dont le bas se glissait dans sa chemise à la manière des éleveurs d’abeilles.

En tournant la tête, il aperçoit Diego et les quatre autres volontaires qui préparent le repas du matin. Un bol de soupe lyophilisée et un maté. Il ne fallait pas être trop difficile. En s’étirant, le hamac bouge et les moustiques s’envolent pour se reposer aussitôt sur le voile.

-Tu penses qu’il pourrait s’agir de descendants d’esclaves échappés après le démantèlement des missions Dominicaines ?

Diego ne réponds pas.

-Comment peuvent-ils imaginer qu’une femme leur veut du mal ?

-On peut tout imaginer Matéo, tout !

Diego a trouvé des pieds de cannes à sucre sauvages, Il débite avec sa machette des bâtonnets que l’on pourra sucer durant toute la journée.

-Les coups de fatigue seront plus faciles à supporter, précise t-il…

Matéo s’extirpe de son hamac. Ses bottes ont été placées à l’envers sur des piquets afin d’éviter termites et serpents. Il les secoue et les enfile…

Les cours de « survie en milieu hostile » obligatoires avant de postuler pour la Transamazonienne lui revenaient en mémoire. Diego s’adresse à tous :

-Aujourd’hui il faudra avoir les idées claires. On n’est pas loin de leur campement.

Le groupe d’hommes marche en silence depuis quelques heures, feuillages qui fouettent les visages, fusils à l’épaule. Seul Matéo s’est équipé de son revolver avec la ferme intention de ne pas l’utiliser. Diego, en tête, lève le bras. Il désigne d’une main ce qui ressemble à un piège. Une liane courbée enfouie sous les feuilles précédée de pics acérés dépassant du sol.

D’une voix chuchotée il précise son idée :

-Ils nous attendent par ici, et bien on ne va pas les décevoir !

Le sac à dos est posé au sol. L’appareil est fixé au tronc d’un arbre, la molette est tournée sur le maximum.

Diego fait signe de reculer et de prendre un autre chemin. Chacun s’exécute en silence.

Un peu plus tard, une clairière apparaît au travers des feuillages. De vagues huttes, des arbres abattus, un feu de campement. L’équipe s’accroupit cachée par des buissons à l’opposé du chemin avec le piège. A l’extérieur d’une case, Matéo aperçoit Corinne qui se repose assise à même le sol. Elle est intriguée par une suite de petites couleurs… rouge, bleu, jaune… rouge, bleu, jaune qui tournoient sur un tronc d’arbres au sol. Le laser de Matéo insiste en silence. Elle finit par découvrir l’origine de ces couleurs bizarres qui tournent sans cesse. Un grand espoir l’envahit.

Deux des hommes de la forêt ont remarqué cette anomalie. Visiblement ils se posent des questions tout en regardant le visage impassible de Corinne. Ses deux compagnons l’ont rejoint.

Brutalement la Chevauchée des Walkyries du film Apocalypse Now hurle à tue-tête au travers des bois. Les cors impriment les esprits, les violons augmentent le côté tragique, irréel de la chevauchée. Les hommes sont stupéfaits, ahuris. Après un instant d’hésitation ils décident de se regrouper et de s’approcher arcs en main de cette drôle de chose.

Le minuteur du magnétophone lié au tronc d’arbres s’était déclenché.

Diego, Matéo se précipitent tant bien que mal vers la hutte. Corinne et ses deux compagnons courent vers eux.

-Vite, vite, on y va, notre équipe est en couverture !

Le groupe au grand complet s’enfuit dans la jungle à l’opposé des walkyries…

Ce soir là, « Elle se sent comme enveloppée par lui, même plus, elle se sent imprégné de lui, de sa gentillesse. Avant de s’endormir, elle décide que la prochaine fois, elle le laissera faire, elle lui rendra même son baiser. C’est bien de faire l’amour, si c’est avec amour » (Inge)

 

Gérald IOTTI

Rédigé par Gérald

Publié dans #Divers

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