LIBRATI LIBRATOI

Publié le 28 Décembre 2021

LIBRATI LIBRATOI

QUATRIÈME DE COUVERTURE :

 

Les souffles, les vents, les voiles sur les chemins de Fanny sont entremêlés dans des filets. Telle Arachné, elle croyait maîtriser et tricoter sa toile mais les illusions et vanités ont rencontré les tsunamis et la tectonique des plaques.

Fanny Librati devenue philosophe savoure en alternance jours de miel et jours d’oignon. Elle est bercée par sa mémoire qui rembobine les images et elle vit parfois avec les disparus.

 

LIBRATI LIBRATOI

 

LI – BER – TÉ, point d’interrogation –

Mot de trois syllabes, jeté, craché, hurlé, scandé pour une adolescente en mal de vivre.

Ses repères ou ses pères ?

Ses limites ou ses mère ?

C’est un vocable océanique pour se noyer. Je vais apprendre à nager d’abord et les frontières de mon corps vont se préciser et m’aider à définir ces trois syllabes comme un espoir de longue route. Les rivages, les rochers, les ports et les lois humaines qui accompagnent chaque brasse et vague de ce mot océan ma contraignent à souffler et m’exercer de plus en plus.

 

Ce mot gravé, peint, sculpté, qui guide et met en marche tant d’armées, qui fait couler tant de sang a vieilli avec mon siècle. Il est accompagné de ses confrères Égalité et Solidarité mais c’est mon sang qui le fait vivre. J’ai tant creusé et cherché avec mes contemporains, j’ai tant transmis l’amour de cette musique à trois temps qu’elle se confond avec mon rythme cardiaque et parfois, j’ai besoin de transfusion. Alors, dans ma prison thoracique, je ne le cries plus ce refrain.

Je le susurre, je lui souris et lui fais danser la valse de mes pas sur des sentiers inconnus que je voudrais enchantés.

Feu rouge. STOP. ARRÊT.

Au pas camarade, la liberté guide nos pas. Le secret de la liberté, c’est la LIBRAIRIE.

Qui parle ? Son nom de famille détermine sa vie et la ponctue d’épisodes qui paraissent si décousus à ses interlocuteurs qu’elle doit chaque fois leur rappeler :

– Je m’appelle Fanny LIBRATI non pas Liberté, ni Libertaire, L-I-B-R-A-T-I.

L’autre jour, son corps sain, libre, scandait sa pensée au pas d’une valse étourdissante. Mais aujourd’hui, l’étourdissement devient fièvre. Fanny Librati, libre à toi maintenant.Fanny mesure 37°8 – 38°. Stop à la danse, viennent les tremblements, les vertiges, la tristesse et la peur.

– Ah ! Que n’ai-je été plus prudente hier soir, j’aurais dû me couvrir.

Alors vite, eau chaude, jus de citron, sucre, rhum ‘‘Négrita’’ viennent au secours.

Le grand lit défait s’offre à elle, elle devient un paquebot rentrant au Havre après une longue traversée. Ses lèvres sont mêlées aux draps froissés, vagues gelées de coton blanc. Ses chers livres, sauveurs de toujours, ce sera pour demain.

 

Nuit, matin, résurrection, gestes de somnambule sur mer calme.

Les livres sous la main, non pas ce gros, trop lourd. Fanny mesure sa liberté.. 38°.

Le petit livre, titre : Lettres de la princesse Palatine, avec sa belle couverture, vient clarifier son choix. Elle le prend, c’est Versailles au XVIIe siècle ou le château de Saint-Cloud.

Elle boit son lait chaud ; les lettres de Liselotte, c’est le surnom de la princesse Palatine, l’entraînent dans la forêt de Saint-Germain, elle chevauche près du grand Louis. Le Roi-Soleil fait battre son violon vital aux cordes distendues, cet organe cardiaque.

Elle tourne les pages au galop, les chiens de a meute l’accompagnent et ravivent ses émois. Elle a faim, la tartine beurrée devient délicieuse. Elle remesure 37°5, la fièvre baisse.

Elle entre dans la galerie des Glaces, il y a bal, madame de Maintenon ne l’aime pas mais Fanny s’en moque, son cœur bat la cadence de la vie et demain elle retournera à l’École de la Pensée Libre, du Libre arbitre, elle grandira, la petite Fanny Librati.

 

Les premières années d’automne sont passées, entrecoupées de fièvres, de rêveries. Fanny traîne trop sur son lit, son nom de famille martèle ses tympans, toujours Liberti mais sa jambe enflée et sa double tendinite freinent ses décisions et ses actions.

L’autre jour, dans la correspondance de la princesse Palatine, elle avait galopé à pa chasse du grand Roi. Les couleurs fauves, jaunes, rouges des feuilles enflamment son esprit embrumé à 37°8. Vallée de Chevreuse, forêt de Fontainebleau ou Rambouillet sont devenues des pays impossibles pour sa santé défaillante. Elle ressent avec nostalgie son énergie fragile, elle devient feuille morte dans le vertige de sa chute.

Ses amis sont partis en Grèce et à Thessalonique, ses enfants ne peuvent entendre la mélancolie de sa voix et elle se le reprocherait. Elle ne téléphone pas. Elle se lève, fait des torsions de chevilles, elle a mal mais il le faut.

 

Le club de randonnée organise une marche trop escarpée, elle hésite, elle craint de gêner le groupe avec sa douleur. Mais il n’y aura pas de grand dénivelé, elle pourra s’arrêter si elle souffre. Elle se souvient qu’adolescente, en Angleterre, sa chute sur la patinoire avait ouvert des connaissances et des rencontres riches d’expérience. Alors, c’est décidé, elle ira en rando. Elle confirme son choix par téléphone et prépare son sac et son pique-nique pour le lendemain. Ensuite, elle tend la main vers un livre qui évoque la Grèce, là où sont partis ses amis. Les Aventures de Télémaque, quelques pages et elle rejoint l’Olympe.

La fièvre a baissé un peu et la tendinite ne décidera pas de son avenir. Elle est encore libre Fanny et petite feuille gracile ne rejoindra pas encore le composte de la forêt.

 

Après ses déprimes, sa tendinite ankylosante, ses lectures des XVIIe et XVIIIe siècles ont produit l’effet thérapeutique désiré. Fanny a très faim, le bon pain croustillant et le beurre breton donnent à la tartine un effet magique, surtout trempée dans le café, l’énergie de l’enfance ressuscite. Ses souvenirs se bousculent et sa copine de lycée réapparaît nettement.. Vite ce désir s’enfle tout en étalant du beurre sur une autre tartine plus grosse.

Cela devient obsédant, alors elle veut vérifier sa mémoire, elle veut voir Gisèle, son amie en classe de seconde. L’album dans le tiroir fait défiler toutes les photos de classe et ensuite Gisèle apparaît seule sur une photo de vacances. Fanny ne voit pas son visage mais son cul. Gisèle était si fière de sa plastique. Elle faisait tourner toutes les têtes avec son déhanché à la Brigitte Bardot. Toutes les filles voulaient lui ressembler. Fanny l’enviait, elle avait parfois des pulsions jalouses qui la paralysaient. Heureusement, elle était plus intellectuelle et fascinait par ses connaissances philosophiques si élaborées.

Cette photo de 1963, la chevelure blonde de Gisèle entourée d’herbes folles, sur cette dune landaise, ses fesses qui réveillent une gourmandise sensuelle, telles des flans d’un artiste pâtissier, son nez mutin, oui, Fanny se souvient de ce nez frémissant même si la photo est prise de dos. C’est sûrement son amoureux de l’été qui avait pris ce cliché.

 

Fanny se ressert un bol de café, elle arrête de manger, elle n’est pas comme Gisèle. Elle est ronde comme sa mère et sa grand-mère. Il faut faire un régime.

Elle tourne la page, toujours le même album. Ce n’est plus 1963 mais 1968, alors Fanny se sent bien plus légère. Bernard, son fiancé, avait photographié la ‘‘Dedeuche’’ achetée d’occasion. Il l’avait repeinte en rose. Elle venait de passer son permis et n’avait pas encore décollé le 90 des débutants à l’arrière. C’était le mois d’avril et les fleurs sur les arbres faisaient la fête. Elle avait réussi à perdre quelques kilos son jean la moulait comme il faut. Elle le constatait aux regards bienveillants des copains de Bernard.

Avec les premiers rayons de ce printemps, elle avait décapoté la 2CV et l’avenir pétillait comme le champagne qu’elle allait boure avec Gisèle qui s’était déjà mariée et avait deux enfants. Sa silhouette ne faisait plus rêver mais pour Fanny la tendresse résistera tout au long de leur vie.

Bien après mai 68 qui avait chamboulé toutes les relations de leur génération, le mot LIBERTÉ sera scandé sur tout les tous.

 

Après l’invasion des souvenirs 1963 – 1968, Fanny revient dans son présent chronométré. Avec un sursaut d’énergie, elle débarrasse la table, range les albums photos et cherche l’adresse de Gisèle. Dans son répertoire si coloré elle cherche fébrilement G.. G.. G.. Gisèle – Paris 15eme. Non, trop facile après ce désert de tant d’années, elle va lui écrire, elle verra bien si la lettre lui revient.

 

Chère Gisèle, ‘‘Fille de l’Air’’,

 

C’est comme ça que je t’appelais. Tu m’appelais ‘‘Rose des sables’’.

Mes narines sont encore frémissantes de l’odeur de la terre rouge après l’orage, dans le sud de la France, notre dernier camp de vacances. Nous aimions nous laisser porter par le vent violent et nos rires en grelots tintaient dans la tornade. Nos corps étaient tendus tels des arcs prêts à lancer leurs flèches vers un avenir romanesque et échevelé.

Notre professeur, mademoiselle Guillemin, nous avait abreuvées de lectures de Rousseau, ‘‘Les Rêveries du promeneur solitaire’’.

Ce sud évoquait pour moi le désert, le sud algérien et les dunes sahariennes que mon père décrivait, lieu de son enfance. Mais une sirène avait retenti, c’était un bateau qui rentrait au port et nos imaginations s’étaient enflammées comme la mienne aujourd’hui.

Un autre souvenir me rapproche de toi. C’était l’hiver, Gisèle, et tu aimais tellement manipuler le soufflet sur les braises de la cheminée de ta grand-mère, celle qui vivait dans l’Oise et nous faisait des crêpes à Carnaval.

Ma chère Gisèle, ma ‘‘Fille de l’Air’’, cette plante qui vit en boule, accrochée hors sol, sans terre.

J’espère que cette lettre te trouvera en bonne santé avec tes deux enfants que j’ai connus petits, en 68. J’espère aussi que tu répondras à ta copine Fanny la ‘‘Rose des sables’’.

En outre, si la santé nous le permet, nous pourrions nous rencontrer cet été et déguster une tranche napolitaine aux couleurs de l’arc-en-ciel.

 

Que le vent de l’amitié transporte mon désir ardent de te revoir. Je te raconterai tout.

 

Fanny, ta ‘‘Rose des sables’’

 

Après quelques semaines, grèves de la Poste, changement d’adresse de Gisèle, une grosse enveloppe en papier kraft, recommandée, ressemble à un cadeau. Fanny regarde David, son mari, qui dit : « Tu reçois des romans maintenant ! », et il part jouer aux cartes avec ses potes. Fanny s’installe dans son fauteuil bien avachi tout en caressant le chat qui, lui, frotte le dossier en cuir comme un champion d’escalade.

Dès les premières pages de l’écriture de Gisèle, Fanny doit se servir un verre de Bordeaux pour atténuer le choc des révélations. Toutes ces années de partage intime avec Gisèle, elle n’avait pas deviné.

Pourtant le tatouage numéroté sur le bras de sa mère, oui la maman de Gisèle portait toujours des manches longues, mais Fanny l’avait surprise un jour à la piscine. Elle ignorait aussi que Gisèle était plus âgée, elle était de 1942. Comme elles étaient dans la même classe, elles n’en parlaient pas.

Ce silence de Gisèle, c’était de la pudeur sur la vie et les souffrances de sa mère rescapée de Birkenau et de la mort de son père et de ses deux grands frères dans un four crématoire. Elle, Gisèle, avait été confiée à des paysans dans le Mercantour, des Justes comme on dit maintenant et c’est ainsi qu’elle a survécu. C’était une ‘‘enfant cachée’’.

Fanny comprenait mieux le désir de plaire effréné de Gisèle, son exhibitionnisme parfois, comme les fesses à l’air de cette photo avant son mariage. Fanny culpabilise un peu, elle se croyait sensible et intuitive mais elle n’avait rien perçu de la détresse de Gisèle, occultée par ses postures de séduction excessive. Gisèle avait fait écran aux questions intrusives de son entourage. En même temps elle protégeait sa mère qui, rescapée de l’enfer, révélait parfois une gestuelle morbide qui lui collait à la peau.

 

Fanny se ressert un verre, elle est sonnée. Le chat se pose et ‘‘sphinx’’ et la scrute.

Elle relit encore jusqu’au soir l’enfance cachée de Gisèle. Il y a un numéro de téléphone. Elle va pouvoir appeler, demain ou dans une semaine, le temps de digérer ce passé non composé simplement ignoré.

David revient d esa partie de cartes.

– Mais que t’arrive-t-il Fanny, tu es décomposée.. Et ces larmes, pourquoi ?

– David, la vie est cruelle, cruelle est la vie. Je me croyais bonne mais non, conne ! Ma belle Gisèle, celle qui plaisait tant et que je jalousais, mesquine que je suis, est une grande dame avec une âme et des sentiments aussi colorés et délicats que les ailes des papillons que tu collectionnes. C’était mon amie, ma sœur, et je n’ai pas su la consoler. Après son mariage, quand je l’ai revue grossie, je m’en suis presque réjouie, tu t’en souviens David, avec la 2CV rose en 1968 ?

Je suis une lâche, une pourrie, une moins que rien, une horrible jalouse et toi aussi David, tu n’as rien compris, tu la prenais pour une allumeuse, une pute, ma pauvre Gisèle. Comme je vais la gâter, la sortir maintenant que nous sommes à la retraite.

Elle va venir ici à Paris et nous allons faire les magasins, les restaurants, les théâtres, les expos…

Quoi ? Que dis-tu ? Mais non mon arthrose ne me fait plus souffrir.

Arrête de me regarder comme une vieille. J’ai quinze ans et Gisèle à peine dix-sept.

 

Les souffles, les vents, les voiles sur les chemins de Fanny sont entremêlés dans des filets. Telle Arachné, elle croyait maîtriser et tricoter sa toile mais les illusions et vanités ont rencontré les tsunamis et la tectonique des plaques.

Fanny Librati devenue philosophe savoure en alternance jours de miel et jours d’oignon. Elle est bercée par sa mémoire qui rembobine les images et elle vit parfois avec les disparus.

 

Fanny Librati est libre pour sa prochaine MÉTAMORPHOSE.

 

Dona ROUAH-JABIN

 

Rédigé par Dona

Publié dans #Liberté

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