MARJOLAINE OU LA SAISON DES VENDANGES

Publié le 21 Décembre 2021

MARJOLAINE OU LA SAISON DES VENDANGES

QUATRIÈME DE COUVERTURE

Au soir de sa vie, entre vignes et océan, une femme s’interroge sur la meilleure façon de continuer son chemin.

Poursuivre ? Changer ? À partir de quand est-on « vieux » ? Les responsabilités sont-elles une entrave à la liberté ? Doit-on suivre les conseils de ceux que l’on aime ? Autant de questions qui entourent une décision qu’elle est seule à pouvoir prendre...

 

MARJOLAINE OU LA SAISON DES VENDANGES 


 

Depuis la mort prématurée de son mari, Marjolaine présidait seule aux destinées du domaine.

Elle avait dû engager un œnologue pour maintenir la qualité qui était la raison de vivre de Constant.

Mais tout le reste lui incombait : la gestion du personnel et des querelles d'ego, la surveillance et le contrôle de la taille, des traitements... Même en bio, il en fallait. L’aléa climatique était un souci permanent. Que de nuits sans sommeil quand la météo annonçait de la grêle, ou du gel. II fallait alors sortir en pleine nuit pour mettre en route les rampes de chauffage. Et, à près de quatre-vingts ans, elle commençait à fatiguer.

Bien avant les vendanges, il fallait aussi recruter suffisamment de volontaires, organiser le couchage dans les communs, et les grandes tables des dîners conviviaux qui faisaient chaque année de cette saison une fête inoubliable. Alors, elle virevoltait, passait d'une tablée à l’autre, recueillait confidences et nouvelles des uns et des autres, réfléchissait aux conseils qu'on lui demandait. C 'était très excitant.

Pour les vendanges, elle aurait bien continué sans compter les années !

Mais ses fils l'exhortaient à vendre. Aucun des deux ne pouvait, ne voulait, prendre la suite, ayant opté, l'un pour une carrière de pianiste international, l'autre pour un poste de manager aux États-Unis. Elle devait, selon eux, s'installer dans le grand appartement parisien, cesser de conduire et profiter tranquillement des richesses culturelles de la capitale.

Hier soir, elle avait comme chaque année regardé sur Internet les programmes de rentrée des salles de concert et des théâtres parisiens... En esprit, elle refit ses balades préférées, le long du boulevard Saint-Germain, puis de Saint-Michel, jusqu'au jardin du Luxembourg où elle avait rencontré Constant.. Grâce à lui, elle était allée écouter son premier opéra. Cosi fan tutte ; Les arias les plus célèbres lui revinrent en mémoire...

Trois coups discrets à la porte de son bureau la ramenèrent au domaine : elle devait ratifier la liste des candidats aux vendanges.

Pourrait-elle vraiment quitter tout cela et remplir sa vie de simples divertissements ?

Mais combien de temps pourrait-elle encore tenir le coup à ce rythme ? Et puis, tant de familles dépendaient de sa décision...

Elle était seule devant le choix à faire. Terriblement seule.

C'était le prix de la liberté.

Méditation

 

Pour échapper à l'activité du domaine, réfléchir sereinement à la décision qu'elle avait à prendre – vendre ou continuer –, Marjolaine avait besoin de se retrouver seule quelques jours.

Les vendanges étaient faites. C'était le moment.

Rien de mieux qu'une escapade jusqu’à l’océan.

On était déjà hors saison et elle avait trouvé sans difficulté une chambre dans ce petit hôtel de charme qu'elle aimait tant, isolé au milieu des dunes. Au programme de ces trois journées volées : dormir, nager, marcher, lire... Et surtout, faire le point de ses désirs et de ses priorités.

L'endroit s'y prêtait à merveille.

Le ciel était lumineux, ensoleillé. Quelques nuages semblaient jouer à se poursuivre. La plage, apparemment déserte, déroulait ses kilomètres de sable doré. L’eau était d'un vert légèrement gris, un ton d’huître, au parfum d'iode. La marée montait, grignotant en douceur l'espace, vague après vague. Un rythme régulier, léger, rassurant.

Vivant.

Une onde de sensualité joyeuse s'empara de Marjolaine. Après avoir traversé les dunes au milieu du frémissement des oyats, frêles et légers, mais solides, têtus, elle abandonna sa robe, puis poussée par une envie de faire librement corps avec la nature, elle se défit de son maillot. Le haut. Le bas. Nue. Au diapason.

Le soleil était doux sur sa peau. Et une brise légère l'enveloppait dans sa marche vers l'eau. Au rythme inlassable des vagues vint s'ajouter le cri de deux mouettes se chamaillant. Elle eut envie de leur répondre. Les grains de sable roulaient sous ses pieds à chaque pas...

Elle était ivre de liberté.

Risquer la vie

 

Ce bain de mer l’avait comme régénérée.

En sortant de l’eau froide, elle se frictionna, remit ses sous-vêtements et s’installa en demi-lotus sur sa serviette de bain, offerte au soleil d’automne. L’endroit et le calme se prêtaient idéalement à une séance de yoga et de méditation. Elle parvenait toujours à adopter les postures : il avait suffi pour cela de ne pas arrêter la pratique !

Lorsque la température commença à baisser, elle s’étira, se leva et respira un bon coup. Elle enfila sa robe et reprit le chemin de l’hôtel.

En regagnant sa chambre, elle sut que sa décision était prise… Étrangement, elle eut besoin de se regarder dans le miroir. Comme pour y chercher une confirmation. C’est vrai, elle n’était plus jeune. Mais pas aussi vieille que ne le craignaient pour elle ses deux fils ! Le domaine était sa vie… Et elle n’allait pas cesser cette vie maintenant. Comme pour le yoga, elle allait continuer à « pratiquer ». Elle allait se fatiguer ? Et alors ? Elle se ferait aider davantage, surtout pour ne plus avoir à aller protéger les vignes en pleine nuit. Et la fatigue lui semblait bien préférable à l’ennui.

Au diable l’excès de précaution. Tant qu’elle le pourrait, elle continuerait à diriger la vie du domaine. A prendre ce risque.

Et à fêter les vendanges.

 

Brigitte MAZARGUIL

 

Rédigé par Brigitte

Publié dans #Liberté

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