LIBERTY
Publié le 16 Décembre 2021
L'autrice, qui préserve son anonymat, scrute la vie et les humains d'un regard malicieux ...
4e de couv ☺️
Je suis une image, solitaire et ubiquitaire..
La Statue de la Liberté, vous connaissez ? L'ancien phare de Liberty Island, un lieu qui fut par le passé un centre de mise en quarantaine.. Et un cadeau des Français au Nouveau-Monde.
Lassée du statut de statue, elle entame un long voyage au pays des humains...
Pitch
Une statue de renommée mondiale, dont la parure tend à s'effriter, prend son envol pour visiter le monde et ceux qui l'habitent.
Un passé qui s'épuise, un présent inquiétant. Un regard curieux, comme un appel à l'éveil. Et l'empreinte de l'émotion portée sur les travers du quotidien.
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LIBERTY
Je suis une image. Solitaire, et ubiquitaire. Je vis sur une île comme Robinson sans son acolyte. Visage impassible et résolu, le poing levé sans défaillir. Cette main qui veut éclairer le monde. Et l'autre, figée sur ma tablette, porteuse du droit.
Les pieds dans l'eau, la tête dans les étoiles. Certains m'appellent Charlotte, d'autres Sarah. Peu importe. Je suis le rêve.
Sur ma tête, le poids des continents, ou bien des océans. Je dois avouer que parfois, je me prends au jeu.. même si je ferme les yeux.
La réclusion n'est pas dans mes gènes, alors... Je rêve, et je voyage. Un peu partout dans le monde. On me regarde avec les yeux de Chimène. Autour de moi le silence se fait. Comme une invite au respect. Une méditation. Je les entends qui murmurent et puis s'effacent sans trop laisser de trace. Un évanouissement.
Parfois un gaillard s'approche et me toise d'un air fier. Il m'interpelle et me questionne. Je reste muette..
Tu trouveras seul la réponse. Pose-toi d'abord les bonnes questions.. et ne baisse pas les bras. Suis ta route et crois en toi, crois en moi. N'oublie jamais. Je me souviens.. fin du 19e. Je revêts enfin ma robe brun-rouge couleur de cuivre.. et jette les yeux vers l'Est, le vieux monde et ses déshérités. Un appel à lutter contre l'oppression, l'esclavage, la soumission.. les chaînes qui gisent encore à mes pieds. La Lumière. Le Droit.
Parfois la nuit je sors de mon socle d'acier pour les suivre à mon tour. Je les entends pérorer, jaser jusqu'à plus soif.. en groupe assourdissant ou en solo, éructant les yeux mi-clos, un casque sur la tête. Je les suis discrètement, et pose délicatement ma main sur leur épaule. Un soupir. Je leur souffle des mots au creux de l'oreille, et puis.. je les engage à lire. Lire les mots de mes ancêtres, de nos ancêtres, et ceux de nos contemporains.
Lire, se rassembler, se concerter.. avant d'agir. Lire, partager, écouter. Et puis agir. Se respecter soi-même et respecter les autres. Avec leurs différences.
Parfois je ris intérieurement.
Tu radotes, ma vieille.. plus d'un siècle que tu es née, et toujours le cycle des incantations. Les cris, la colère, les gémissements.. le même film avec des costumes différents.. le déni de justice et puis.. tu arrives avec les tables du droit ! pff.. usant !
Parfois je suis fatiguée.
Plus facile de suivre le troupeau.. oui mais... La résignation est un suicide quotidien ! Moi je veux vivre. Et donc combattre. Et pourquoi pas prendre la plume pour écrire son espoir, son désir, son expérience. Un secret enfoui au fond de chaque livre. Ce qui unit plutôt que ce qui sépare. Un vrai programme..
Je m'incarne au gré des vibrations.
Si sensible à la colère, au dégoût, à la frustration. Ces petits êtres de chair qui se rêvent puissants.
Le souffle me porte ici ou là, flânant en terrasse de café, errant dans les rues en quête de partage.
Hier je me prélassais en terrasse sur cette belle place plantée d'Albizias, les yeux mi-clos, l'esprit en vadrouille. Envie de changer de peau.
Sur qui porter mon choix ? Ce bellâtre aux yeux d'acier et au sourire ravageur ? Cette midinette en jogging qui porte son sourire comme un maquillage ? Ce bambin récalcitrant, qui sautille sur son skate ? À qui insuffler ma brise galvanisante ? Et pourquoi pas cet homme assis seul face à son verre, regard perdu, épaules basses.. les yeux las, sourire triste, c'est mon homme ! Je sens qu'il va être dur à convaincre, et j'aime ça. Une tâche ardue qui est faite pour me plaire.
Et voilà ! Je suis lui. Un être engoncé dans ses principes. La croix et la bannière.. ou les travaux d'Hercule. Je décèle sans peine le poids de sa routine. Les jours qui se ressemblent, l'absence de perspective. Une résignation banale. Sûr que j'ai du pain sur la planche, c'est pas gagné...
Je m'insère dans son esprit.
Il frissonne, jette un coup d'œil à sa montre, pousse un soupir, fait signe au serveur, s'apprête à se lever et partir.
C'est sans compter sur moi.. Je vais le secouer un peu, lui ouvrir des portes. Ou du moins essayer.
Je perçois ses obsessions, ses craintes. Un tour de manivelle, et hop.. des bribes du passé qui s'envolent, le disque dur fait du ménage ! Faire place au présent.
Il se rassoit, un peu sonné. Tête vide.
Aperçoit cette jeune femme aux cheveux roux, qui pianote sur son clavier, sourire au creux des lèvres.
Et pourquoi pas.. l'impression du déjà-vu. Il la connaît peut-être. Je vais l'aider.
Ose le rêve, clé de l'étau !
Souffle sur les braises
Évanouies, de l'envie..
Respire, reviens en vie
Trouve les clés de la cage
Qui ne dit pas son nom
Retrouve l'instinct volage
En voyage de dérision.
Remodeler la parure du regard. Un filtre évanescent aux palettes multiples.
Il marche à présent et pressent le crissement des feuilles d'automne.
L'appel incessant de centaines d'étourneaux qui voltigent et pépient, la murmuration magique qui fait lever le nez en l'air et s'éclaircir le ciel.
Il respire comme si c'était la première fois. L'odeur de l'herbe mouillée lui chatouille les narines. Il vit.
Face à lui, le mur d'un ancien couvent, recouvert d'une vigne ardente au reflet écarlate. Comme la chevelure de cette voisine, au bar. Il oscille entre rêve et réalité.
Ses pas le portent au fil des rues jusqu'à son véhicule, une vieille deuche décapotable de collection, jamais déchue de ses espoirs, qu'il s'est offerte lors d'une vente aux enchères.
Aujourd'hui c'est décidé, le filtre sera rose. Il bat des paupières pour mieux apprécier. Le parking où il s'est garé, une ancienne friche industrielle devenue dent creuse ou terrain vague, se teinte d'une douce lumière rosée, propice à la biodiversité du lieu : aubépine et bouillon blanc, cabaret aux oiseaux ou compagnon blanc, coquelicot et moutarde sauvage, parsemés de ronces odoriférantes.
Il jubile en suivant des yeux cette flore anarchique aux noms évocateurs, lui, le poète marginal, et botaniste en herbe..
Il va rouler jusqu'à plus soif. Peut-être jusqu'aux landes dunaires de ces îles de la Frise qu'il a connues plus jeune.
Du petit port de Honfleur, son havre d'alors, il avait parcouru la route bucolique jusqu'à Amsterdam, ses canaux, ses coffee shop généreux, ses vélos noirs majestueux. Et appris en riant à rétropédaler. Avec une chevelure rousse à ses côtés..
Il avait poussé la chansonnette jusqu'à Texel, l'île aux oiseaux, la plus grande des îles frisonnes, un lieu magique du bout du monde, avec son parc de dunes, ses plages de sable fin, ses plans d'eau à perte de vue, ses aquarium et zoo aux espèces protégées, ses musées d'art, et son phare saisissant. La chevelure gambadait près de lui.
La deuche se dresse devant lui. Il caresse son carrosse couleur de rosé.
Et cherche les clés dans sa poche.
L'invitation au rêve. Respirer.
Humer le silence, l'air du large.
Chacun sa route…
Je reprends le fil de mon destin, étire volontiers la pelote.
Miroir, mon beau miroir.. que reflète ton eau trouble ?
Du haut de mon piédestal, tel l'aigle qui suspend son vol.. je choisis ma proie.
En route vers le point aveugle. Celui qui sort du cadre. Je ferme les yeux et prends la plume.
Mais pas celle des poules mouillées. Je suis un aigle populaire... Et révolutionnaire. Je tourne en rond.
Pour moi, rien de plus facile. Je franchis les barricades du passé, de l'habitude résignée. Et cueille en route les fleurs du Mal, que je hume avec délice pour mieux les disperser. Elles sont fleur de cactus, aubépine ou bien grande mauve, bardane ou moutarde sauvage. Je brasse et je partage, l' œil en malice.
Un jeu de l'oie de l'entre-soi, une spirale abyssale en coquille d'escargot.
Le vent me pousse comme un désir sans fin, bouscule les pièges et saute les barricades.
L'aigle sort de la basse-cour et montre le chemin.
Je suis chameau dans le désert qui roule ma bosse et fais la nique aux oasis.
Je suis une mouette attentive et rieuse, flâneuse et opportuniste.
Je suis papillon erratique et volage.
Parfois je m'enracine et tente la séduction, me pare de beaux atours, exhale une fragrance psychotrope. Messaline des sens, mescaline des esprits.
Je m'égare dans de multiples tentations. Celles qui font la vie au mépris de la peur.
Je chemine au côté de compagnon charmant… ou zombie avachi. Je m'élance et je souris.
Un voyage jusqu'au bout de la nuit.
Je reprends ma route, baluchon sur les ailes, l'œil espiègle et l' âme joyeuse..
Un sac de pacotille qui me chatouille les oreilles. Des chants pour chacun, qui élèvent le destin.
Un coq aimait une pendule
Tous les goûts sont dans la nature..
Un hymne à la curiosité, l'ouverture au monde, l'inconnu, la différence.
Parfois au combat, à la révolte. Et à la bienveillance.
La fleur rouge de l'homme
Se trouve en chaque être humain.
L'esprit, puise dans tes forces
L'esprit, déploie tes ailes
Liberté !
Accroche-toi à moi
Ne me laisse pas partir !
(Freedom, de Pharrell Williams)
Je fredonne et souris,
Je parodie, contre l'ennui..
Une robe de cuivre comme un oubli
Qu'aurait du chien sans l'faire exprès
Et dans la musique du silence
Une ville qui tangue et qui se tait..
C'est vrai, ils m'agacent, ces humains qui consentent et s'abaissent, voire fulminent
en silence.. alors je secoue, parfois je heurte.
C'est décidé, je m'expatrie.
Cap au nord vers une lointaine cousine dont on m'a dit le plus grand bien.
Milda, petite sœur lettone, hommage aux combattants de l'indépendance, les deux bras levés qui soutiennent des étoiles, 42 mètres de fierté..
Le combat sans fin pour la paix, la dignité, l'union, l'entraide..
Contre la haine, le rejet, le mépris, l'arrogance.. les craintes.
Je suis du côté de la vie, la curiosité, la surprise… .
Milda et ses étoiles, c'est notre Marianne et son bonnet phrygien.
Elle s'est battue contre la domination militaire allemande, puis contre la propagande soviétique. Un rude combat qui ne laisse pas indemne..
(« Je suis l’œil dans le ciel, qui te regarde
Je peux lire dans vos pensées
Je suis le créateur des règles, je m’occupe des imbéciles
Je peux te tromper sans que tu ne t’en aperçoives »)
(Alan parsons project)
Le défaut dans ma cuirasse.. une envie de plaire, maladive, excessive, compulsive.. une faille narcissique ?
Sans doute pour adoucir mon poing levé, brandi comme une arme, ce poing d'exaltation, d'interrogation, parfois de discorde.
Je veux vivre, comme un risque nécessaire, et salvateur.
Séduire, fière et sans crainte, inconsolable et gaie.
Milda soutient les étoiles, une icône plus douce, apaisante, réconfortante.
Moi je m'insurge et monte le ton, face à l'inertie, l'apathie, l'immobilisme, le nombrilisme.
Jouir sans entrave.
Je m'incarne encore et toujours, pour mieux fouiller leurs entrailles. Je m'infiltre dans les veines, m'insinue dans les esprits, m'incruste dans le corps.
Aujourd'hui je pose mes ailes près de ma petite sœur parisienne, sur l'île aux Cygnes, onze mètres de bronze sur une île artificielle, face à la maison de la radio. Une communication permanente, sans trop de mots.
Ici les passants courent dans les rues comme des moineaux effarouchés,
Comment leur dire..?
C'est une chanson. Qui nous ressemble. Toi qui m'aimais. Moi qui t'aimais. Nous vivions tous. Les deux ensemble…
Je revois cet homme au café, accablé de routine, englué d'un confort moribond, réveillé par les rêves du passé. Le désir, moteur de liberté. Briseur de chaînes du carcan quotidien.Va, cours, vole... Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
La paix, dans la sobriété. L'amour, la liberté.
Le vent nous portera…
Aujourd'hui je suis Alceste.
Et revendique la liberté de parole.
Je parlemente sur un rond-point face à la foule. Le soleil ralentit, la nuit se couche. Le feu nous réunit.
Je m'envole.. je suis papillon qui batifole, mi-mâle mi-femelle, au gré de mes humeurs badines. Les fleurs exhalent leur douceur et se pâment à ma vue, jalouses de mon errance farouche. Je m'incline et les salue.
Je suis grenouille sauteuse, croasse de mare en flaque en quête d'un miroir indécis, mâle ou femelle selon l'humeur du temps.
Je suis frêle hippocampe des mers chaudes, qui charge le mâle de porter les petits, en fière marginalité...
Je suis guerrière de l'ombre, gardienne de la lumière, rêveuse de nuages saltimbanques.
Je suis Virginia qui exalte Une chambre à soi, le refuge nécessaire, et finit des galets en poche, un libre choix.
Je suis louve sans attache, jamais domestiquée, ou goéland jacassant entre mer et terre, voyageurs sans bagage..
Mais revenons sur terre.
Je m'incarne ici ou là et savoure les émois d'ici-bas. Aucun mode d'emploi. Une incitation aux absences, à habiter les marges, et célébrer la solitude...
Cette femme au café qui feuillette un livre, coupée du monde et de ses tracas. Ses yeux brillent et s'évaporent dans une brume voyageuse. Le secret du temps pour soi, le charme du temps retrouvé… les jours pleinement vécus que nous avons passés avec un livre (Proust)
Ce jeune en baggy qui file sur son skate sans trop d'égards pour la foule alentours.. Ces amoureux qui se bécotent sur un banc public.
Le souffle de vie. Une séance de tai-chi en pleine nature. Le lien à soi et au monde. Un baiser dans le cou.
Se promener, un plaisir libre qui ne coexiste avec aucune contrainte (K.G. Schelle). Subvertir les sens, les situations, toujours les varier, ne pas s'ennuyer. L'art de glisser et de se griser. Une vie nomade et chaotique.
L'art du funambule qui habite la clarté des nuits, le droit au vagabondage, celui qui refuse les moules, au risque de la vie..
La main invisible de la maîtrise de soi, l'art de vivre au présent.
Je suis né.e pour te connaître et te nommer. (Paul Éluard)
Quatre vers pour voler aux quatre vents,
Battre des ailes sous le brouillard épais,
Essuyer sans cesse la suie et le soufre,
D'une pensée sensible, cicatrice insolente
Quatre verres, oser braver les éléments
L'eau et le feu, l'espace et le temps,
S'égarer volontaire, une terre sans frontière,
Et de l'Aube à la nuit choisir la vie.
Quatre vers comme les quatre saisons,
Un printemps à Paris, l'hiver dans le Midi,
La Croix sensible d'une route invisible,
L'intuition musicale, hommage à Vivaldi..
Quatre vers comme les âges de la vie,
Le carré d'un destin qui peut sembler rigide,
La routine d'un étau, le carcan d'une cage
D'où l'on fuit, puissant et libre, après l'orage.
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LIBRES QUATRAINS
Dans ses yeux où brille la flamme
Un océan d'amour aux quatre vents
Le Festin nu des peurs imbéciles
Qui taraudent l'esprit
Dans ses mains la clé du rêve
Qui ouvre l'horizon
Bannit la soumission
Et les experts en commission..
À ses pieds les débris d'incendie
Des écrans de fumée
Des sons désaccordés
Pour blaireau de galerie
Sur son cahier déjà noirci
N'obéis pas quand on te dit..
Pensée figée, esprit marbré
Après l'orage, la Renaissance
Après l'orage le doute et la douleur
Tu renaîtras, fier et puissant
Des cicatrices du feu
L'alliance des jours heureux
Libre !
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