HISSEZ LE VOILE
Publié le 21 Décembre 2021
QUATRIÈME DE COUVERTURE
Le monde d’Aicha jeune femme afghane vient de s’écrouler par la prise du pouvoir des Talibans.
Elle refuse de subir le joug des hommes qui l’obligent à devenir une ombre, une femme objet.
Avec la complicité de sa famille, elle décide de partir, d’entreprendre un long voyage vers la liberté.
HISSEZ LE VOILE
Le vent qui soufflait dans sa tête lui rappelait les jours où elle pouvait s’exprimer. Sur l’écran blanc de sa vie, les images défilaient trop vite comme dans un vieux film de Charlot. Seul le cliquetis du projecteur semblait répondre à ses questions.
Fini les discussions entre amis, où, certains soirs, on refaisait le monde.
Elle écoutait ce vent, lui à qui on avait interdit d’ébouriffer ses cheveux. Même l’air qu’elle respirait se chargeait d’un parfum aux senteurs de renfermé.
Elle écoutait ce vent qui jouait avec son imaginaire pour lui permettre d’espérer.
Elle, elle ne pouvait pas croire que son monde s’était écroulé ; le regard perdu derrière sa grille, prisonnière de sa burqa, sur les parois de son cœur elle a écrit Liberté car elle sait que demain refleuriront les roses sur les routes de l’Afghanistan.
Le silence s’était installé dans les rues de Kaboul, comme une chape de plomb qui étouffait les murmures et les voix des femmes afghanes. Le Monde de Aïcha avait pris la couleur du bleu ou du noir. Non pas celui de l’encre qui lui servait à écrire mais de se voile que les talibans l’obligeaient à porter.
Le soir, enfermée dans sa chambre, elle apprenait par cœur les textes de ses livres. Comme un souffle de liberté et elle se disait :
« Ils n’auront pas ma liberté de pensée »
Étudiante en littérature française, elle se fixait comme règle de vie, la citation de Bernard Weber :
« Le secret de la liberté, c’est la librairie »
Pourtant la librairie Massoud avait du fermer ses portes et les livres prenaient le chemin de la résistance de l’ombre des interdits.
Heureusement pour Aïcha, son père et ses frères qui eux avaient le droit de sortir librement, lui fournissaient de quoi assouvir sa soif de lecture.
Et c’est ainsi que lorsqu’elle devait sortir, accompagnée par son père, enveloppée dans sa bulle bleue, elle s’obligeait à se réciter les vingt et uns quatrains du poème sur la liberté de Paul Eluard.
Aucune grille de fer ou de tissus ne pourra l’enfermer. Elle était libre !
Le soir, quand la nuit poussait le jour au delà des montagnes, Aïcha s’enfermait dans sa chambre pour écrire et pour lire. Elle enlevait son enveloppe et retrouvait sa liberté de mouvement. Nue elle aimait sentir le froid faire frissonner son épiderme. La tête en arrière elle jouait avec ses longs cheveux teintés de henné aux reflets cuivrés.
L’espace d’un instant, elle se retrouva ans la chambre de sa cousine où pendant des heures, elles discutaient sur le choix de la couleur. En ce temps la les cheveux étaient la parure de la femme.
Le reflet de la glace lui renvoya son image, sa décision fut prise, elle prit les ciseaux, ses longues boucles tombèrent sur le sol et formèrent un tapis, non pas de prière mais de révolte. C’était son sacrifice sur l’autel de sa liberté.
Il lui arrivait parfois de rêver qu’elle marchait le long d’une plage de sable. Le vent jouait avec ses cheveux en les échevelant à sa guise, elle fermait les yeux pour sentir la chaleur du soleil et les senteurs des embruns déposés sur sa peau. Doucement, elle se déshabillait, nue, abandonnant au milieu des herbes folles ses vêtements, alors elle pénétrait dans l’eau et s’allongeait sur le sable mouillé. Les vagues, délicatement comme un amant, caressaient son corps. Ce corps, ces cheveux qu’elle ne pouvait plus montrer.
Elle poussa un cri, NON !
Elle se réveilla. La plage, le vent, les vagues avaient disparu, la laissant seule devant sa réalité, une grille bleue devant les yeux.
Elle se mit à pleurer, ses larmes avaient un goût salé.
Par la fenêtre ouverte, elle regarda le ciel qui se teintait de rose à mesure que disparaissait le soleil derrière l’horizon.
« Rose du soir garde l’espoir », lui disait sa grand-mère.
Alors, séchant ses larmes au goût salé, elle s’adonna à son loisir, l’écriture. Sur une grande page blanche, elle laissa courir sa plume, ses mots comme des galets ricochant sur la surface de l’eau en laissant des traces, elle écrivait.
Elle écrivait une lettre à une amie qu’elle venait de perdre.
Je voudrais pouvoir te voir, avec toi parcourir la nature rougie par l’automne, sentir l’odeur de l’herbe mouillée, ces herbes folles qui poussent au bord de la plage. Naviguer en voguant sur l’eau bleutée du lac pour aller vers cette île pour écouter le bruit des gouttes d’eau. Hélas, aujourd’hui tu n’es plus là et je n’ai que mes mots, mon écriture pour laisser mon imaginaire pour te retrouver, toi mon amie, ma Liberté.
Elle avait refermé son cahier sur ce dernier mot. Elle ne s’était pas aperçue que la nuit avait fait fuir les dernières lueurs du jour. Un silence, pesant, lourd, angoissant était tombé sur la ville juste troublé par l’appel à la prière du muezzin.
Cette voix monocorde qui comme un éclair déchirait la nuit, était devenue pour Aïcha une injonction, un ordre donné à toutes les femmes d’oublier ce qu’elles étaient, d’obéir à la nouvelle loi.
Cette loi qui bafouait le droit à la femme de tout simplement plaire en lui supprimant sa liberté individuelle de choisir comment elle devait et avec qui faire sa vie.
Aïcha se réfugia doucement dans son monde où seules ses pensées qui se bousculaient dans sa tête arrivaient à couvrir le son de cette voix.
Certains soirs, elle en arrivait à rejeter toute son éducation.
« Un jour, je partirai » se promit-elle avant de s’endormir.
La nuit était devenue pour elle le refuge de sa liberté.
Un matin où le jour venait à peine de se lever Aïcha avait pris sa décision, elle devait partir. Déguisée en homme, elle put avec la complicité de son père et de ses frères, rentrer en contact avec un réseau de résistants qui, à travers la montagne et les pistes défoncées, l’accompagna vers le Pakistan. Là, elle fut prise en charge toujours sous l’apparence d’un homme pour traverser le pays et se diriger en Inde où elle avait de la famille Sa tante était mariée avec un Hindou. Cette quête vers la liberté fut longue et dangereuse ; plusieurs fois Aïcha fut sur le point d’abandonner. Enfin après un long mois de clandestinité et de privation, elle arriva à Jaipur et retrouva ses parents où elle put retrouver son apparence de femme. Mais pour Aïcha, le voyage ne pouvait pas s’arrêter là car en Inde aussi la condition de la femme est difficile, le poids de la religion et des traditions remet en cause leur droit. Pendant de longs mois qui lui parurent une éternité Aïcha travailla dur pour pouvoir mettre suffisamment d’argent de côté pour s’acheter le passeport vers la liberté, son billet d’avion pour la France. Sa tante lui fut d’un grand secours ; elle qui avait fui son pays, comprenait les désirs de sa nièce et l’aida financièrement.
Le bruit des roues qui venaient de toucher le tarmac sur l’aéroport Charles de Gaulle, réveilla Aïcha. C’était pour elle une musique douce qui avait comme notes « Liberté Égalité Fraternité ». La vie pour elle allait recommencer, tout du moins c’est ce qu’elle espérait en serrant contre son cœur le livre de Simone de Beauvoir, à la célèbre phrase : « On ne naît pas femme, on le devient ».
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QUESTIONNEMENT
Pourquoi ne leur as-tu pas appris l’escalade
Le jour où tu es montée sur la barricade
Tenant ton drapeau dans la main
En leur montrant ton sein
Ils auraient pu éviter de tomber
Sur le mur de leur réalité
Tu aurais pu leur dire
A eux qui ne savent pas écrire
Qu’à vouloir trop te désirer
Ils deviennent aujourd’hui des réfugiés
Tu aurais pu écrire ton nom
Sur les murs de leur nation
Tu as voulu les guider
Sans jamais leur rappeler
Que ton nom est toujours associé
A l’égalité et la fraternité
Aveuglés ils se sont embarqués
Pour mourir en Méditerranée
Pourtant on continue de t’aimer
L’espoir dans nos vies tu fais renaître
« Je suis né pour te connaître
Et pour te nommer
Liberté »
Bernard BRUNSTEIN