MARJOLAINE ET LA SAISON DES VENDANGES
Publié le 18 Octobre 2021
Depuis la mort prématurée de son mari, Marjolaine présidait seule aux destinées du domaine.
Elle avait dû engager un œnologue pour maintenir la qualité qui était la raison de vivre de Constant.
Mais tout le reste lui incombait : la gestion du personnel et des querelles d'ego, la surveillance et le contrôle de la taille, des traitements... Même en bio, il en fallait. L’aléa climatique était un souci permanent. Que de nuits sans sommeil quand la météo annonçait de la grêle, ou du gel. II fallait alors sortir en pleine nuit pour mettre en route les rampes de chauffage. Et, à près de quatre-vingts ans, elle commençait à fatiguer.
Bien avant les vendanges, il fallait aussi recruter suffisamment de volontaires, organiser le couchage dans les communs, et les grandes tables des dîners conviviaux qui faisaient chaque année de cette saison une fête inoubliable. Alors, elle virevoltait, passait d'une tablée à l’autre, recueillait confidences et nouvelles des uns et des autres, réfléchissait aux conseils qu'on lui demandait. C 'était très excitant.
Pour les vendanges, elle aurait bien continué sans compter les années !
Mais ses fils l'exhortaient à vendre. Aucun des deux ne pouvait, ne voulait, prendre la suite, ayant opté, l'un pour une carrière de pianiste international, l'autre pour un poste de manager aux États-Unis. Elle devait, selon eux, s'installer dans le grand appartement parisien, cesser de conduire et profiter tranquillement des richesses culturelles de la capitale.
Hier soir, elle avait comme chaque année regardé sur Internet les programmes de rentrée des salles de concert et des théâtres parisiens... En esprit, elle refit ses balades préférées, le long du boulevard Saint-Germain, puis de Saint-Michel, jusqu'au jardin du Luxembourg où elle avait rencontré Constant.. Grâce à lui, elle était allée écouter son premier opéra. Cosi fan tutte ; Les arias les plus célèbres lui revinrent en mémoire...
Trois coups discrets à la porte de son bureau la ramenèrent au domaine : elle devait ratifier la liste des candidats aux vendanges.
Pourrait-elle vraiment quitter tout cela et remplir sa vie de simples divertissements ?
Mais combien de temps pourrait-elle encore tenir le coup à ce rythme ? Et puis, tant de familles dépendaient de sa décision...
Elle était seule devant le choix à faire. Terriblement seule.
C'était le prix de la liberté.