L'INCONNUE
Publié le 10 Novembre 2021
Son voyage l’avait conduit sur la côte Est. Il était assis sur un banc face à l’océan. Plus loin le phare de Nauset Lighthouse peint par Edward Hopper se dressait fier, hautain, amer, incontournable sur ces rochers qui bordaient les immenses plages de sable à l’accueil trompeur.
Face à lui le vacarme sourd de l’océan, dont le processus sans fin affirmé par le fracas des vagues laissait imaginer lointaines tempêtes et bateaux en perdition.
L’air était envahi par des effluves d’embruns, d’algues. Les hautes herbes de la dune ondoyaient, du sable s’échappait de sa main après cette poignée qu’il venait de ramasser et qu’il caressait avec sensualité. Tout le portait à la rêverie.
Il ne sut pas à quel moment elle s’était engagée sur le sentier. Et pourtant elle était là se dirigeant d’un pas assuré vers la plage déserte en contre bas. Sac et affaires sous un bras, serviette tenue avec désinvolture par l’autre main, elle avançait, décidée, longue chevelure blonde au vent, nue, fesses blanches exposées à un soleil éparpillé traduisant une décision récente de s’exposer en cette tenue.
L’espace d’un instant il se sentit au paradis. Il leva les yeux et au-delà de la dune, personne, rien, hormis des mouettes rieuses et le fracas incessant de l’océan. Il s’y reprit à deux fois et conclut qu’ils étaient tous les deux dans les bras du hasard.
Aussitôt le personnage féminin de son manuscrit lui revint en mémoire. Ce personnage qui faisait partie de sa vie avec qui il discutait si souvent. Il aurait pu continuer comme cela des années, c’était lui qui le voulait, et puis, voilà que tout se détraquait. Il n’aura pas fallu grand-chose pour que toute cette histoire s’envole. Un rien. Un passage furtif.
Osera-t-il l’aborder, elle qui vient de s’allonger face à l’océan ? Pourra-t-il dominer sa peur ? La peur de l’indisposer, la peur de ne pas la comprendre ?
Rater ce que le hasard lui proposait.
L’inconnue se retourna. Les marques blanches sur sa peau étincelaient comme l’écume de vagues au soleil de midi. Son regard croisa le sien. Elle l’avait bien remarqué malgré son détachement apparent. Il lui sembla qu’un sourire s’installait.
Au delà les vagues s’alanguissaient et semblaient vouloir retourner vers cet océan qu’elles n’auraient jamais dû quitter. Leur aventure se terminait pourtant sur cette plage, dessinant une frontière floue, imprécise, là où la mer s’achève.
Il se leva et ses pieds nus crissèrent sur le sable imprimant des empreintes qui déjà disparaissaient…