JACQUES
Publié le 29 Novembre 2021
Jacques était songeur. La lettre que Marc lui avait fait parvenir ne lui apportait aucune solution. Tout au plus, une sorte de morale et un rappel à la réalité pour lui faire comprendre qu'il n'avait encore rien compris à la vie et qu'il serait temps pour lui, d'avoir les pieds sur terre. Cela ne le rassurait vraiment pas, car Marc était loin d'être un nigaud, et tout ce qu'il disait méritait d'être pris au sérieux.
Que faire ? Ses souvenirs du petit séminaire étaient encore vivaces. Les déplacements en rang, deux par deux, en silence, les yeux rivés au sol et l'esprit obligatoirement occupé par l'amour et le respect que l'on devait à Dieu et à tous ses saints, était la règle absolue. Heureusement, les récréations dans la cour du patronage, leur permettaient d'échapper aux chaînes du savoir et courir après un ballon leur procurait une sorte d'ivresse et l'illusion d'un sentiment de liberté.
Liberté vite cadenassée par le sifflet strident du père Pascal qui les rappelait à leur devoir. Il fallait vite rejoindre les rangs, retrouver leurs contraintes qui avaient fait semblant de les abandonner, baisser la tête et rejoindre en silence une salle de classe qui sentait la craie, la poussière et l'odeur des vieux livres que des centaines d'enfants avec, plus ou moins, de vocation avaient feuilletés de leurs doigts sales aux ongles noirs. Jacques se rappelait certains de ses camarades avec qui il avait créé une certaine complicité. Il y avait Paul, un grand maigre, qui n'avait pas sa langue dans la poche et qui prétendait tout connaître, on l'avait surnommé "l'asperge". Raymond était plutôt un petit gros, baptisé "bouboule". Il n'avait pas son pareil pour dénicher quelque chose à manger. Son flair pouvait donner des complexes à n'importe quel limier. André, par contre c'était le sérieux de l'équipe. Très légèrement fayot il adorait attirer l'attention sur lui. Pour plaire au père Pascal, il s'accusait des pires péchés que l'on pouvait imaginer. Sa confession durait une éternité, ce qui lui valait des heures de pénitence qu'il subissait avec humilité. Mais ça le remplissait de joie car le père Pascal le citait toujours en exemple.
On leur apprenait la liberté dans la foi. Seulement dans la foi. Rien ne permettait de déroger à ce principe. Il fallait croire point !!!! C'était toute l'éducation qui avait bercé la jeunesse de Jacques, avec pour ambition, la tonsure, la soutane, la barrette et qui sait… la pourpre. Après tout, d'autres y sont arrivés. L'aventure peut même aller plus loin. Pour peu que l'on plaise à ceux qui donnent les responsabilités les plus importantes et que l'on sache se faire apprécier… Prince de l'église ! Chaque fois que je regarde les films de Don Camillo je me dis que "l'espoir fait vivre".
Avec ça, les ors du Vatican, les gardes suisses, et tous les "Monsignori" qui encombrent les couloirs pesaient lourds, comparés à la librairie de François, avec ses étagères croulantes et ses rats aussi gros que des chats, tellement ils étaient bien nourris par le savoir qu'ils grignotaient avec une constance admirable. En définitive, la liberté que m'offrait François me faisait peur. Marc avait raison je ne connaissais pas le mode d'emploi. Toutes les voitures roses ainsi que les plus belles fesses du monde, avec ou sans catalogue bien documenté, ne me créaient que des réponses à des questions que je ne me poserais pas… pour l'instant.
Ma décision est prise. Je vais vite rejoindre mes contraintes et mes chaînes. Je vais essayer de négocier avec ce dieu qui, je le sais, me surveille du coin de l’œil, et j'irai à confesse avec conviction.
Fasse le ciel que je ne change pas d'avis.