INTERROGATIONS...
Publié le 12 Novembre 2021
Jacques ne savait plus quoi penser. Il était perdu, noyé dans ses indécisions. Le poids de la culpabilité qu'il s'imposait et qui n'avait pas lieu d'être, allait l'écraser sans qu'il ne s'en rende compte. La visite qu'il avait rendu à Marc dans son trou, ne lui avait apporté aucun réconfort, et ses conseils pour atténuer l'angoisse qui le rongeait n'avaient produit aucun effet.
Il ne savait même pas où il se trouvait. Il marchait sans savoir où ses pas le conduisaient. Cette rue, qui serpentait entre des immeubles aux façades décrépies, et où s'entassaient des carcasses de motos et de scooters dépiautés par des marchands de pièces détachées, n'inspirait vraiment pas confiance.
Une pluie fine commençait à tomber et les lampadaires de ce quartier perdu essayaient de dispenser une lumière vaguement jaunâtre qui n'arrivait pas à combattre l'obscurité qui s'emparait, tout doucement, de la vie des hommes. Jacques se félicita d'avoir revêtu un imperméable par dessus son beau costume et de s'être chapeauté d'un "bibi" informe trouvé au fond de sa valise.
Tout à ses réflexions, il ne s'était pas rendu compte qu'une voiture roulait au pas, à coté de lui. Intrigué, il ralentit quand, de la voiture, une voix l'interpella.
– Alors beau gosse on est tout seul sous la pluie qui ne va pas tarder à se transformer en déluge ? Alors que ma belle deux chevaux rose est disponible et bien plus confortable que ce que l'on pourrait penser de prime abord ?
Jacques regarda avec plus d'attention cette femme à la voix éraillée de quelqu'un qui fume trois paquets de cigarettes par jour.
– Je vous remercie madame, mais votre magnifique voiture, que l'on pourrait classer en catégorie "collector " ne m'attire pas.
– Tu as tord mon beau. Une si belle opportunité ne se présente pas tous les jours. D'autant plus qu'il fait tellement chaud que j'ai préféré ne pas encombrer mon corps de vêtements superflus. Si ça te choque je peux te montrer mes fesses sur photo, comme quand on consulte un catalogue… Je t'ai remarqué car tu n'es pas à ta place ici. Cette rue n'est pas habitable pour ceux qui se posent trop de questions et toi ce sont les réponses qui vont te faire du mal. Si j'avais un parapluie je te l'aurais donné, mais pour les problèmes qui encombrent ta tête il ne te reste que la liberté de la pensée et encore méfie-toi d'elle, car elle est très difficile à apprivoiser. Allez ! Ciao et porte-toi bien.
La voiture et la paire de fesses virtuelle s’éloignèrent et se perdirent dans une nuit à la fois perfide et accueillante. La pluie qui commençait à tomber dru, faisait remonter du sol une odeur de terre labourée qui donnait l'impression d'être à la campagne, loin de cette ville sans âme où l'on à vite fait de se perdre.
Quelle journée… Jacques se demandait ce qui allait encore lui arriver. François dans son cercueil, Marc dans son trou à rats et moi accroché par une apparition, sans nom, dans un coin de ville proche d'un quelconque cercle de l'enfer de Dante.
Dire que j'ai passé la journée avec le mot liberté à la bouche et que je suis passé par une bibliothèque, où les rats ont toute liberté pour grignoter des ouvrages perdus dans des rayons inaccessibles, par le magasin de Marc où tous les objets ont la liberté de se balader à leur guise, et où j'ai été abordé par une femme nue dont le langage ne laisse aucun doute quand à ses intentions.
Mais, bon Dieu, si tu existes, dis-moi. Que t'ai-je fait pour que tu m'accables à ce point ? Ce matin j'ai mis mon plus beau costume bleu… Oui je sais !! Le seul que je possède. Mais quand même... une chemise blanche, propre, repassée et qui sent la lavande, une cravate noire en soie.. Excuse du peu !! J'ai été jusqu'à cirer mes chaussures, et ça ce n'est pas rien. J'ai respecté un mort, j'ai repris contact avec un camarade d'enfance que je croyais être un ami et maintenant ? Que vais-je faire ?
Liberté, liberté chérie, je crois que tu es un clou et moi le marteau qui tape sur ta tête. Je constate avec effroi, que tu t'enfonces à chaque coup dans un univers où je vais me perdre sans espoir de retour....
– Tu veux me dessiner un mouton ?