MOTS D’UN JOUR, LIVRES DE TOUJOURS
Publié le 1 Octobre 2021
Je ne voulais pas venir. J'ai longtemps hésité, mais j'ai cédé au besoin de le voir une dernière fois. François dormait de son dernier sommeil dans son cercueil qui trônait, conformément à ses dernières volontés, au milieu de ce magasin qui, pendant de longues années, avait été son havre de paix.
Comme il le disait souvent, sa librairie était un immense océan, à la foi calme et turbulent et tous les ouvrages qui habillaient ses étagères représentaient des milliers d'îles où il faisait bon de se reposer.
Rappelle-toi, me disait-il, le secret de la liberté c'est ma librairie. Chaque page de chaque livre est une porte ouverte à l'évasion. Chaque mot que tu liras est magique et entraînera ton imagination sur un tapis volant. Ne te complique jamais la vie. Si on te donne de l'air, respire, si on t'accorde de l'eau, boit, si on te fait l'aumône d'un bout de pain sec, mange et si tes yeux sont submergés par un torrent de larmes..… nage !
Il ne fermait jamais sa librairie. Si on lui en faisait la remarque, ses yeux pétillaient et il nous répondait, je veux avoir la liberté de donner à celui qui manifeste la liberté de prendre. Comment refuser le savoir à celui qui veut s'instruire?
Tous ces souvenirs me ramenèrent à lui. Dans son attitude figée, revêtu du seul costume qu'il ait jamais eu, il me faisait penser à un seigneur qui impose le silence et la sérénité dans son domaine.
La famille avait déjà déserté le mausolée. Peu importe, ce calme m'allait très bien. Une odeur d'encens mêlée à la poussière et au vieux papier se mêlait à l'air que je respirais et j'avais l'impression de communier avec lui.
Dire que pendant longtemps je ne l'ai pas aimé. Il voulait m'imposer à tout prix le poids d'une liberté que je ne voulais pas. J'étais jeune, et donc pas prêt à assumer cette responsabilité envers moi même. Têtu comme un mulet qui marche en biais, il insistait et pour m'aider, il ouvrait ses bras, et tournant sur lui même dans une valse de sa composition, il me disait : prends, sers-toi aide ton âme à s'évader. Va au bout du monde et ne reviens pas. Je te l'ai déjà dit, ces livres sont magiques...
Eh oui !! magiques, tapis volants, et maintenant il est là, plus libre qu'il n'a jamais été, et moi, enfin.… je pleure.