LIBERTY
Publié le 21 Octobre 2021
Je suis une image. Solitaire, et ubiquitaire. Je vis sur une île comme Robinson sans son acolyte. Visage impassible et résolu, le poing levé sans défaillir. Cette main qui veut éclairer le monde. Et l'autre, figée sur ma tablette, porteuse du droit.
Les pieds dans l'eau, la tête dans les étoiles. Certains m'appellent Charlotte, d'autres Sarah. Peu importe. Je suis le rêve.
Sur ma tête, le poids des continents, ou bien des océans. Je dois avouer que parfois, je me prends au jeu.. même si je ferme les yeux.
La réclusion n'est pas dans mes gènes, alors... Je rêve, et je voyage. Un peu partout dans le monde. On me regarde avec les yeux de Chimène. Autour de moi le silence se fait. Comme une invite au respect. Une méditation. Je les entends qui murmurent et puis s'effacent sans trop laisser de trace. Un évanouissement.
Parfois un gaillard s'approche et me toise d'un air fier. Il m'interpelle et me questionne. Je reste muette..
Tu trouveras seul la réponse. Pose-toi d'abord les bonnes questions.. et ne baisse pas les bras. Suis ta route et crois en toi, crois en moi. N'oublie jamais. Je me souviens.. fin du 19e. Je revêts enfin ma robe brun-rouge couleur de cuivre.. et jette les yeux vers l'Est, le vieux monde et ses déshérités. Un appel à lutter contre l'oppression, l'esclavage, la soumission.. les chaînes qui gisent encore à mes pieds. La Lumière. Le Droit.
Parfois la nuit je sors de mon socle d'acier pour les suivre à mon tour. Je les entends pérorer, jaser jusqu'à plus soif.. en groupe assourdissant ou en solo, éructant les yeux mi-clos, un casque sur la tête. Je les suis discrètement, et pose délicatement ma main sur leur épaule. Un soupir. Je leur souffle des mots au creux de l'oreille, et puis.. je les engage à lire. Lire les mots de mes ancêtres, de nos ancêtres, et ceux de nos contemporains.
Lire, se rassembler, se concerter.. avant d'agir. Lire, partager, écouter. Et puis agir. Se respecter soi-même et respecter les autres. Avec leurs différences.
Parfois je ris intérieurement.
Tu radotes, ma vieille.. plus d'un siècle que tu es née, et toujours le cycle des incantations. Les cris, la colère, les gémissements.. le même film avec des costumes différents.. le déni de justice et puis.. tu arrives avec les tables du droit ! pff.. usant !
Parfois je suis fatiguée.
Plus facile de suivre le troupeau.. oui mais... La résignation est un suicide quotidien ! Moi je veux vivre. Et donc combattre. Et pourquoi pas prendre la plume pour écrire son espoir, son désir, son expérience. Un secret enfoui au fond de chaque livre. Ce qui unit plutôt que ce qui sépare. Un vrai programme..
Je m'incarne au gré des vibrations.
Si sensible à la colère, au dégoût, à la frustration. Ces petits êtres de chair qui se rêvent puissants.
Le souffle me porte ici ou là, flânant en terrasse de café, errant dans les rues en quête de partage.
Hier je me prélassais en terrasse sur cette belle place plantée d'Albizias, les yeux mi-clos, l'esprit en vadrouille. Envie de changer de peau.
Sur qui porter mon choix ? Ce bellâtre aux yeux d'acier et au sourire ravageur ? Cette midinette en jogging qui porte son sourire comme un maquillage ? Ce bambin récalcitrant, qui sautille sur son skate ? À qui insuffler ma brise galvanisante ? Et pourquoi pas cet homme seul assis face au pastis, regard perdu, épaules basses.. les yeux las, sourire triste, c'est mon homme ! Je sens qu'il va être dur à convaincre, et j'aime ça. Une tâche ardue qui est faite pour me plaire.
Et voilà ! Je suis lui. Un être engoncé dans ses principes. La croix et la bannière.. ou les travaux d'Hercule. Je décèle sans peine le poids de sa routine. Les jours qui se ressemblent, l'absence de perspective. Une résignation banale. Sûr que j'ai du pain sur la planche, c'est pas gagné...
Je m'insère dans son esprit.
Il frissonne, jette un coup d'œil à sa montre, pousse un soupir, fait signe au serveur, s'apprête à se lever et partir.
C'est sans compter sur moi.. Je vais le secouer un peu, lui ouvrir des portes. Ou du moins essayer.
Je perçois ses obsessions, ses craintes. Un tour de manivelle, et hop.. des bribes du passé qui s'envolent, le disque dur fait du ménage ! Faire place au présent.
Il se rassoit, un peu sonné. Tête vide.
Aperçoit cette jeune femme aux cheveux roux, qui pianote sur son clavier, sourire au creux des lèvres.
Et pourquoi pas.. l'impression du déjà-vu. Il la connaît peut-être. Je vais l'aider.