LE PAVILLON DES PAS PERDUS
Publié le 16 Octobre 2021
Une fois de plus je traîne dans cette librairie aux boiseries du XIXe qui m’attire tant. Tout est calme. Je parcours les rayons, littérature, histoire, romans, essais, tourisme, auteurs français, auteurs étrangers, un tour du monde à peu de frais. Mon regard croise la porte d’entrée silencieuse…
Un homme apparaît. Le carillon tinte dans la boutique qui semble vide. Un petit garçon accourt,
-Bonjour monsieur, papa n’est pas là mais maman va arriver !
Une dame apparaît un plumeau à la main,
-Pierre veux-tu bien retourner terminer tes devoirs ! Excusez-le il ne peut pas s’empêcher de bondir dès qu’il entend le carillon.
L’homme ne sourit pas.
-On m’a dit que vous avez un exemplaire du « Pavillon des pas perdus » Puis-je le voir ?
-Euh ! Qui vous a dit que nous possédions un tel livre ? Il y a eu tellement de fumées autour de cet ouvrage. Existe-t-il seulement ?
-Écoutez, la personne qui m’envoie est prête à de gros efforts, elle m’a précisé : Qu’ils fixent leur prix, cet ouvrage est très important pour moi.
La libraire fixe le visiteur dans les yeux. Évidement qu’ils l’avaient ce livre mais son mari l’avait promis à un collectionneur. Et son mari qui n’est pas là ! Il faut gagner du temps.
-Vous savez qu’il a été écrit dans une période trouble pour notre pays, on dit même qu’il aurait été brûlé à la fin de la guerre. Votre commanditaire n’est peut-être pas informé de ce détail ?
L’homme enchaîne en soutenant le regard la libraire,
-Le club du cinq-rue-droite ça vous parle ?
La libraire blêmit. Elle et son mari s’y rendent souvent à ce club. Antre réservé aux passionnés de littérature, collectionneurs et amateurs d’ouvrages insolites, de livres oubliés, quelquefois bannis à tord (les époques changent), les auteurs pourchassés un temps, réhabilités des années plus tard. Donc son informateur savait. Il savait que ce livre existait, qu’il était le terme d’une trilogie ayant beaucoup fait parler dans l’entre-deux-guerres. Un temps au pinacle des ventes puis l’effondrement par on ne savait quel retour de situation.
A l’extérieur un garçonnet de cinq ou six ans au plus qui passait par là est figé sur la vitrine de la librairie alors que sa maman discute avec forces mimiques, une amie rencontrée sur l’avenue l’écoute et sourit. Nez et mains collées à la vitre le gamin essai de déchiffrer tous ces mots qui dansent face à lui. Et soudain, il fonce vers sa mère, la tire par la jupe,
-Maman, maman viens voir je sais lire !
Quel souvenir. Ça remonte à combien de temps ? Je ne m’en rappelais plus. Des années plus tard est-ce toujours moi cet ado boutonneux qui avait eu le cran de demander à un auteur dédicaçant son dernier livre,
-Monsieur pouvez vous me dire comment on devient écrivain ?
L’homme de lettre m’avait sourit et ensemble on avait décrit « Un personnage que tu ne connais pas encore » m’avait-il dit. Quelle aventure ! Je ne se souviens que d’une chose. La remarque de ma mère lorsque j’avais franchi la porte de la maison :
-Mais où étais-tu ? Tu as vu l’heure qu’il est ?
Et ma réponse :
-Je n’en ai aucune idée !
Je ne m’étais jamais senti aussi libre que pendant cette heure.
L’imagination, la liberté de créer et le temps ne compte plus…
Dans la librairie, le client ne démord pas,
-Vous n’ignorez pas que ce que je vous demande est le dernier tome d’une trilogie,
Cet homme avait l’air bien informé sur cet auteur oublié. Oui elle savait. Oui elle connaissait les deux autres tomes : « Le murmure du chêne » et « La diagonale de la vie ». Ils étaient déjà passés par la boutique. Chaque fois un amateur éclairé avait flairé la chose. A croire que les collectionneurs avaient des antennes.
-Je vois que monsieur est bien informé, vous êtes un fin connaisseur.
Il faudra qu’elle lui dise. Ce livre est bien là…
Je tourne la tête, la libraire est sagement assise à un bureau et me regarde,
-Alors avez-vous ouvert un livre ? Votre imagination a-t-elle complété les quelques lignes lues ? Avez-vous senti le souffle de l’évasion ?
Je lui souris. Oui j’étais ailleurs. Oui on s’évade toujours autant avec en main un ouvrage d’un auteur inconnu.
La porte est désespérément fermée. La librairie vide.
Je n’ai pas vu le temps passer, les lumières s’allument.
Je décide de m’en aller. Cette histoire me trotte dans la tête, je dois la terminer…
Le commanditaire évidement que je savais qui il était…
Gérald IOTTI