LE CHOIX... OU PAS...
Publié le 24 Octobre 2021
Je n'avais pas revu mon ami d'enfance depuis longtemps, mais la mort de François me posait trop de questions. Il fallait que je confie mon désarroi à quelqu'un qui passait plus de temps à réfléchir qu'à se précipiter pour dire des bêtises.
Marc s'était réfugié dans une espèce de placard fourre-tout, qu'il avait baptisé "sa caverne". Son placard donnait sur la rue, avec une vitrine pas vraiment sale mais certainement pas propre, à travers laquelle il était très difficile de se faire une idée de ce qui nous attendait à l'intérieur.
Il s'agissait, en fait, d'un magasin d'antiquités où il passait son temps à chercher des objets qui n'étaient venus jusqu'à lui que dans ses rêves. J'ouvrai la porte qui grinçait un peu, sans doute coincée par une goutte d'huile, ce qui fit tinter une petite cloche au son cristallin.
Après un court instant, Marc fit son apparition.
- Bonjours Jacques. Je ne te demanderai pas le motif de ta visite car, à ta mine de papier fripé, je devine de quoi il s'agit. Tu sais, j'ai su pour François, mais je n'ai pas osé aller le voir une dernière fois car l'avant dernière était vraiment trop ancienne et elle s'est perdue dans les méandres de la nuit des temps.
- Ne t'excuse pas Marc, je suis venu te voir car, comme tu t'en doutes, j'ai hérité de la librairie et je ne suis pas convaincu d'y avoir droit. Trop de souvenirs se télescopent dans ma tête et j'ai du mal à trier le bon du moins bon. Tu te souviens quand nous jouions à cache cache dans les rayons ? Nous renversions souvent des piles de livres qui encombraient les allées. Ces livres que François avait mit de côté pour les donner à qui voulait élever son âme. Des nuages de poussière prenaient leur envol et nous aveuglaient. Il faut dire que son magasin était au moins autant bordélique que le tien.
- Le rangement de mon gourbi est représentatif de l'importance que je donne au mot " liberté ". Chaque objet qui entre ici choisit sa place. S'il le veut, il peut se déplacer la nuit et aller trôner dans un autre endroit du magasin où il se sentira mieux. Comme tu vois, j'ai fait miens les conseils de François, quand il nous mettait en garde et qu'il nous apprenait à respecter les livres si nous ne voulions pas que les mots se vengent. Il disait que Dieu, avant toute chose, avait créé le verbe et qu'il ne fallait jamais l'oublier. Faute de quoi notre liberté serait en danger. De toute façon il va falloir que tu fasses un choix et ce choix n'appartiens qu'à toi. Tu as la liberté de choisir. Je connais beaucoup de personnes qui aimeraient bénéficier de la liberté de dire oui ou non.
- Je ne sais pas. Cette liberté de choisir me tord les boyaux et je nage dans l'inconnu. Marc ! Donne-moi une bonne réponse, je t'en prie.
- Une bonne réponse ? Mais une réponse à quoi ?
- Je ne sais pas. Donne-moi une bonne réponse et si elle me convient je trouverais la question qui va avec. Les mots de François me font peur, ils me pourchassent et certains me rattrapent malgré les efforts que je fais pour m'enfuir. Tu parles sans arrêt de liberté, mais ça n'est jamais qu'un mot abstrait qui ne parle qu'à ceux qui y croient. La liberté on devrait l'avoir au menu, en plat du jour. En salade fraîche et joyeuse ou à l'étouffée, boire un bon coup par dessus pour la noyer quand elle nous contrarie et la faire renaître le lendemain, en espérant un nouveau plat qui ne soit pas trop aigre.
- Tu veux beaucoup de choses Jacques. En réalité tu fuis ton avenir et tu cherches refuge dans ton passé qui, lui, ne veut plus de toi. Tu peux rester entre les deux et végéter dans un espace de médiocrité, mais ça ne regarde que toi. Que tu le veuilles ou non c'est encore une histoire de choix. Je respecte tes idées Jacques, mais si tu n'y vois pas d'inconvénients, je retourne dans mon trou où ma liberté, à moi, m'attend. Elle est si fragile que si je m'absente trop longtemps elle risque de se faner et…… moi avec.