ENTRE RÊVE ET RÉALITÉ

Publié le 1 Octobre 2021

 

Chantal regarde sa montre. 14:30 heures. Encore trois heures de travail, trois heures d’ennui. Et encore dix ans jusqu’à la retraite, pense-t-elle tout en se replongeant dans ses papiers, sur ses chiffres. Elle travaille pour une caisse de retraite. Sa vie professionnelle consiste à vérifier les trimestres, ceux travaillés, ceux de chômage retenus, ceux de maladie et de maternité. C’est mortel. Sa pensée s’évade, attirée par le ciel bleu qu’elle aperçoit à travers la vitre. Qu’est-ce que je serais bien à la plage, avec mes amies. Un grand soupir lui échappe. En même temps, un coin de son cerveau compare les dates, les chiffres. Ah, il y a une erreur ! Elle oublie la plage pour revérifier, se concentrer sur son travail. Effectivement, l’ordinateur n’a pas tenu compte d’un petit boulot de vacances d’une cliente ? Usagère ? Contribuable ? Citoyenne ? Future retraitée ? Salariée ? Assurée ? Bénéficiaire d’une retraite personnelle ? Elle se demande comment appeler les gens pour lesquels elle rattrape des erreurs, comme ici, et qui sont quand même, la plupart du temps, mécontents, désagréables, en colère, qui l’insultent, la menacent, cherchent à l’intimider, la prennent de haut, se plaignent d’elle auprès de son chef de service. Sans résultat, bien entendu. Un deuxième soupir sort des profondeurs de sa poitrine.

Elle a fini avec les trimestres, elle passe aux cotisations versées. Pas terrible. Elle aura une petite retraite, cette dame. Voilà, elle a déterminé le montant de sa retraite. Au moins elle ne sera pas imposable, pense Chantal.

La porte s’ouvre, la dame en question est là. Elle s’est habillée avec soin pour l’occasion. Elle se croit où ? Elle pense que ça change quelque chose ?

Chantal la fait s’asseoir, lui expose les chiffres, les trimestres, les cotisations, le montant de la retraite. La dame la regarde, incrédule.

  • Mais ce n’est pas possible, dit-elle. J’ai travaillé toute ma vie. Il doit y avoir une erreur.

  • Non, il n’y a pas d’erreur, répond Chantal, j’ai vérifié.

  • Mais on ne peut pas vivre avec ça, comment je vais faire ?

Chantal a l’habitude, sa réponse est prête :

  • Mais vous avez aussi la retraite complémentaire, vous allez voir. Je vous conseille de vous en occuper dès maintenant.

Elle aperçoit la lueur d’espoir dans les yeux de son interlocutrice et se sent misérable. C’est toujours ainsi qu’elle se débarrasse des gens déçus, désenchantés, désespérés. La dame ramasse ses papiers, se lève, part pleine d’optimisme. Chantal range son bureau, prend ses affaires, part pour l’endroit qui l’attend après ses journées de travail harassantes, un endroit où elle a l’habitude de se ressourcer, d’oublier la dure réalité, celle de son métier mais aussi celle des futurs retraités. C’est la librairie au coin de la rue. C’est son espace de liberté, c’est là où elle peut rêver plus loin.

Rédigé par Iliola

Publié dans #Liberté

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