LE PARC
Publié le 7 Avril 2021
Au soir d’un jour très chaud, une brise légère commençait à frémir dans les feuilles. L’ombre montait vers le haut des collines. Sur les rives sablonneuses, les lapins s’étaient assis, immobiles, comme de petites pierres grises, sculptées. Et puis, du côté de la grand-route, un bruit de pas se fit entendre, parmi les feuilles sèches des sycomores. Furtivement, les lapins s’enfuirent vers leur gîte. Un héron guindé s’éleva lourdement et survola la rivière de son vol pesant. Toute vie cessa pendant un instant, puis deux hommes débouchèrent du sentier et s’avancèrent dans la clairière, au bord de l’eau verte.
Des souris et des hommes – John Steinbeck
L'un de ces hommes était le fondateur de ce parc animalier situé dans une zone entre l'hémisphère nord et l'hémisphère sud. Le deuxième était le gardien de ce parc. Ils déambulaient ensemble faisant des projets de réorganisation, car ils voulaient introduire dans cette réserve une harde de cerfs. Ils avaient délimité sur un plan le futur emplacement, et venaient sur le terrain pour s'assurer de faire le bon choix. Cet espace de plusieurs hectares se situait au pied d'une montagne de moyenne altitude. En grande partie boisée d'essences d'arbres variées, traversé par une rivière peu profonde, Il se prêtait très bien à ce projet.
Louis
Il nous parut étrange que père ne fut plus là pour nous faire un discours après le banquet. Mais j'étais sûr qu’il eût voulu que je dise quelques mots, et c’est ce que je fis. Je parlais des devoirs qui nous incombaient : celui de nous consacrer à la tâche de devenir humains ; celui de suivre l’exemple qu’il nous avait donné à tous ; celui enfin de tempérer le progrès par une sage prudence. Je le sentais en moi qui me dictait chacune de mes phrases, et qui me suggérait les conclusions.
Pourquoi j’ai mangé mon père – Roy Lewis
Un an déjà que mon père est atteint de la maladie d’Alzheimer. Ayant déjoué la surveillance de son gardien, il est mort piétiné et terrassé par un rhinocéros. Mais la vie suit son cours. Ce jour-là nous faisions le bilan de un an d'ouverture au public, et le succès avait été immédiat. Je félicitais tous les partenaires qui avaient œuvré remarquablement pour atteindre ce résultat. Puis, au nom de mon père je leurs rappelais le but qu'il s'était fixé à l'origine de son projet. Je savais que tous les participants n'adhéraient pas à cette philosophie. J'ai du parlementer beaucoup, argumenter, lâcher un peu de lest. La seule entorse au désir de mon père fut que j'avais programmé le banquet après mon laïus. De ce fait, après un bon repas arrosé de bouteilles de bon vin, l'ambiance était au beau fixe. Un accordéon, une batterie, un paso-doble pour attirer un maximum de danseurs sur la piste en terre battue. L'alcool ayant égaillé les âmes et les corps, quelques couples se formèrent. Ceux là pour combattre la chaleur se déshabillèrent vite fait (je ne dirai pas sur le gaz) et après quelques galipettes s'en retournèrent dans leurs foyers conjugaux pour bisser, et pisser le trop plein de vin.
Louis
Ce jour-là, malgré la chaleur, il portait un masque nègre, très haut, qui lui couvrait toute la tête. Au dessus du crâne trônaient deux cornes enroulées sur elles-mêmes comme celles d’un bélier, et, à partir du point lacrymal, deux lignes pointillées d’un bleu presque phosphorescent descendaient, comme des larmes joyeuses, jusqu’à une barbe bariolée qui s’épanouissait en éventail. Le tout peint dans des ocres, des jaunes, des rouges lumineux ; il y avait même, à la limite du front et du couvre-chef, la sinuosité ronde et veloutée, d’un vert profond, d’un petit serpent si criant de vérité qu’on l’aurait dit en train de glisser lentement, dans un mouvement continu, autour de la tête d’Édouard, comme s’il se mordait la queue.
Au-revoir là-haut – Pierre Lemaître
Si un magicien ou plutôt un marabout intervient dans mon histoire, les dés sont pipés. Encore que leurs tam-tams, leurs cornes, leurs masques ne sont que de la poudre aux yeux. Pas la perlimpinpin, car leurs simagrées laissent parfois des traces. Je m'en lasse des marabouts, bout de ficelles, selles de cheval. Etc. Je ne suis pas rétribué à la ligne, sinon je pourrai aller loin avec cette tirade. Je me dégage de cette parenthèse pour tomber dans une impasse. Loin de moi l'idée de me mordre, je ne suis pas assez souple. Je me souviens de mon passage à Dakar, avoir assisté par deux fois à des soirées un peu spéciales. Des femmes donnant de l'argent à des hommes dansant sur des rythmes d'abord langoureux, puis se déchaînant lorsque les tam-tams accéléraient le tempo. Certains étaient pris de convulsions, leurs corps ne leurs appartenant plus.
Moi, qui suis plutôt cartésien, je ressentais un début d'ivresse à laquelle je n'ai jamais succombé.
Louis
L’histoire de ma vie est écrite là : chaque ride est un siècle, une route par une nuit d’hiver, une source d’eau claire un matin de brume, une rencontre dans une forêt, une rupture, un cimetière, un soleil incendiaire… Là, sur le dos de la main gauche, cette ride est une cicatrice ; la mort s’est arrêtée un jour et m’a tendu une espèce de perche. Je l’ai repoussée en lui tournant le dos. Tout est simple à condition de ne pas se mettre à détourner le cours du fleuve. Mon histoire n’a ni grandeur, ni tragédie. Elle est simplement étrange. J’ai vaincu toutes les violences pour mériter la passion et être une énigme. J’ai longtemps marché dans le désert ; j’ai arpenté la nuit et apprivoisé la douleur. J’ai connu « la lucide férocité des meilleurs jours », ces jours où tout semble paisible.
La nuit sacrée – Tahar Ben Jelloun
Il a tout dit, je reste coi, quoique l'on dise.
Louis