URBEX
Publié le 9 Mars 2021
Un zeste de brume alanguissait l'étendue jaunâtre où je gisais depuis bientôt
une éternité.
Les roues embourbées et la truffe aux aguets, j'attendais son retour..
Une silhouette sombre au contour nébuleux, issue d'un désert accablé de soleil. Attiré comme un aimant vers les vestiges d'un temps ancien.
Moi et ma vieille carcasse rouge aux balafres rouillées, les roues déjantées,
ensablées à jamais.
Sa foulée silencieuse faisait crisser les blés et battre ma mémoire. Revêtu d'une combinaison de mécano digne des années 50, sa paume ondulait sur ma carrosserie brûlante, comme en quête d'un désir oublié. Son reflex autour du cou ou dans sa main, il faisait le tour du pick-up comme pour la première fois, cherchant un nouvel angle de vue, une nouvelle fêlure, un point d'appui à son rêve..
J'attendais sa venue comme un messie des temps modernes, espérant sans trop y croire qu'il me redonne une vie, moi l'héritier d'un sang noble, la race des Chevrolet.
Il faisait quelques clichés d'un air gourmand, puis s'octroyait parfois une sieste réparatrice, observant les éclats métalliques du ciel trop limpide.
Dépassant mon angle mort, je vois sa silhouette s'éloigner dans la brume pour s'approcher des ruines de l'ancien cloître désaffecté.
L'art de la promenade.. proche de la performance. Où est-il ?
Lui-même ne le sait pas, ne le sait plus. Le goût de l'aventure, ouvrir l'espace-temps comme une friandise à déguster. Fuir peut-être un quotidien trop étriqué, monochrome.
Le frisson du plaisir interdit. Que s'est-il donc passé ? Trou noir ? Exil volontaire ? Cataclysme ?
Il est Chasseur du temps perdu. Noircir une pellicule de vestiges oubliés, un
désert de solitude.
Je l'imagine revêtir une robe de bure et faire les cent pas en égrenant un chapelet.. ou plutôt faisant la mise au point sur les fresques défraîchies, les chapiteaux effrités.. se délectant d'une fraîcheur immanente à l'ombre des vieux murs. L'œil aux aguets et le souffle court, en quête d'un bruit suspect, une vie qui passe, le fantôme d'un moine en prière..
Et soudain son pas qui s'arrête, surprenant la vie au sein même du jardin autour
duquel il évolue.
Une nymphe immobile de coccinelle.. surgissant du silence, ayant pris résidence
en ce lieu sacré.. sensible à la spiritualité.
La bête à bon Dieu ne pouvait trouver meilleur asile… sans doute en famille pour mieux butiner les minuscules pucerons. Il sourit, se pare aussitôt de la délicate curiosité d'un ethologue.
Le collectionneur de clichés ne boude pas son plaisir. Il se déhanche, flashe, zoome, s'agenouille, choisit le cadre et l'arrière-plan.. Une exploration vitale et sereine, les vestiges du passé.
Il affectionne les jeux de rôle.. tout autant que le plaisir de dévoiler, en labo obscur, ses lieux d'intrusion secrète. Avec tout le respect qui leur est dû. L'imaginaire en bandoulière..
Sur sa carte un autre lieu de friches le fait déjà frémir : un cimetière de Coccinelles métalliques abandonnées par leurs propriétaires, capot béant en guise d'antenne de coléoptère.
Une voiture assoupie, un insecte en mue, un lieu de méditation. La Magie.
Un jeu toujours renouvelé qui finira en planche contact pour initiés..
Quant à moi, je caresse encore l'espoir de voir revenir une équipe de cinéma en quête de célébrités. Car j'eus mon heure de gloire dans les années 80. Mon pseudo : Christine. Une âme sensible et cabossée, sous un cuir écarlate. Et un relooking "de composition" nécessaire..
Mais ceci est une autre histoire.. !
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