IL Y A QUELQUES ANNEES

Publié le 30 Mars 2021

C’est pour le compte d’une société d’assurance vie, que j’ai été chargé, d’enquêter sur la disparition du directeur de la société « farces et attrapes » personnage très connu de la commune. Celui que tous ses employés appelaient «Père » avait disparu sans laisser le moindre indice. Pour mener mon enquête, je me suis fait embaucher comme assistant de direction. Le mois de décembre arriva et lors du repas traditionnel de fin d’année, je dus en tant qu’assistant prendre la parole, bien sûr.

« Il nous parut étrange que père ne fut plus là pour nous faire un discours après le banquet. Mais j’étais sûr qu’il eût voulu que je dise quelques mots, et c’est ce que je fis. Je parlais des devoirs qui nous incombaient : celui de nous consacrer à la tâche de devenir humains ; celui de suivre l’exemple qu’il nous avait donné à tous ; celui enfin de tempérer le progrès par une sage prudence. Je le sentais en moi qui me dictait chacune de mes phrases, et qui me suggérait les conclusions. » (Roy Lewis)

 

Mon discours fut applaudi mais je sentais dans l’air ambiant une charge électrique de jalousie de la part des membres de la famille. Le temps passa, je continuais de m’intéresser aux indices qui pourraient m’expliquer sa disparition, tout en assurant mon travail à la direction de l’entreprise. Les beaux jours arrivèrent avec dans ses bagages son lot de canicule et c’est comme ça qu’

« Au soir d’un jour très chaud, une brise légère commençait à frémir dans les feuilles. L’ombre montait vers le haut des collines. Sur les rives sablonneuses, les lapins s’étaient assis, immobiles, comme de petites pierres grises, sculptées. Et puis, du côté de la grand-route, un bruit de pas se fit entendre, parmi les feuilles sèches des sycomores. Furtivement, les lapins s’enfuirent vers leur gîte. Un héron guindé s’éleva lourdement et survola la rivière de son vol pesant. Toute vie cessa pendant un instant, puis deux hommes débouchèrent du sentier et s’avancèrent dans la clairière, au bord de l’eau verte ». (John Steinbeck)

Je me penchais à la fenêtre pour savoir qui pouvait venir à cette heure, car je n’avais pas de rendez-vous. La journée de travail étant terminée, je me trouvais seul dans les locaux de l’usine. Je ne suis pas d’un naturel peureux, mais en les regardant arriver je fus intrigué car je reconnus Edouard le fils de la famille et

« Ce jour-là, malgré la chaleur, il portait un masque nègre, très haut, qui lui couvrait toute la tête. Au-dessus du crâne trônaient deux cornes enroulées sur elles-mêmes comme celles d’un bélier, et, à partir du point lacrymal, deux lignes pointillées d’un bleu presque phosphorescent descendaient, comme des larmes joyeuses, jusqu’à une barbe bariolée qui s’épanouissait en éventail. Le tout peint dans des ocres, des jaunes, des rouges lumineux ; il y avait même, à la limite du front et du couvre-chef, la sinuosité ronde et veloutée, d’un vert profond, d’un petit serpent si criant de vérité qu’on l’aurait dit en train de glisser lentement, dans un mouvement continu, autour de la tête d’Édouard, comme s’il se mordait la queue. » (Pierre Lemaitre)

En les regardant franchir le portail, j’ai su que mon identité avait été découverte et qu’ils venaient pour me demander des comptes. Comme dans un vieux film en noir et blanc l’espace d’un instant je me vis dans le miroir de mon bureau l’image me renvoya mon scenario.

« L’histoire de ma vie est écrite là : chaque ride est un siècle, une route par une nuit d’hiver, une source d’eau claire un matin de brume, une rencontre dans une forêt, une rupture, un cimetière, un soleil incendiaire… Là, sur le dos de la main gauche, cette ride est une cicatrice ; la mort s’est arrêtée un jour et m’a tendu une espèce de perche. Je l’ai repoussée en lui tournant le dos. Tout est simple à condition de ne pas se mettre à détourner le cours du fleuve. Mon histoire n’a ni grandeur, ni tragédie. Elle est simplement étrange. J’ai vaincu toutes les violences pour mériter la passion et être une énigme. J’ai longtemps marché dans le désert ; j’ai arpenté la nuit et apprivoisé la douleur. J’ai connu « la lucide férocité des meilleurs jours », ces jours où tout semble paisible.

Je suis prêt, je les attends, j’entends leur pas résonner sur l’escalier métallique. Quand soudain la porte s’ouvrit, ils étaient la masqués. Je n’osais bouger quand un grand rire se fit entendre et une voix, la voix du « Père » m’interpela :

«  Alors que penses-tu de ce projet de masques ? »

Je bredouillais : super, impressionnant mais vous…

Père m’expliqua :

« Il fallait que je m’absente pour qu’enfin Edouard se décide à prendre sa place dans l’entreprise, Edouard c’est mon assurance vie, l’assurance survie de notre entreprise. Mon départ fut pour lui un élément déclencheur et tu as devant toi ses premières créations. Je sais qui tu es et je te remercie pour ton travail, aussi si jamais demain, tu veux continuer dans notre entreprise et abandonner les assurances, ta place ici est assurée. »

J’avais longtemps marché dans le désert aujourd’hui je venais de trouver mon oasis.

 

Rédigé par Bernard

Publié dans #Divers

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