LES PETITS TEXTES JANVIER

Publié le 2 Février 2021

Désertique

 

Le silence balayé par le vent. La dune insurmontable, la fatigue, les pas qui s’enfoncent, qui glissent. Pourtant là haut on verra plus loin, on verra quoi ? Une mer de sable comme lorsqu’on se retourne ?

On persévère, encore un pas, un mètre, deux, on s’aide avec les mains.

La pluie d’étoiles s’efface, le ciel rosit, le soleil va tout écraser, un dernier effort. Le sommet est atteint.

Au loin dans le vallon, une tache verte, les briques d’argile, les toits de palmes, les arbres chargés de fruits, la piste…

La fatigue s’en est allée. On court. Le sable est aussi léger que la brise qui nous enveloppe d’une étrange douceur…

 

Froid

 

Guillaume se lève et tire les lourds rideaux qui obstruent la fenêtre givrée de sa chambre. Il découvre l’origine de ce grand froid…

La neige… la neige tombe à gros flocons, compacte, recouvrant tout et modifiant en douceur l’aspect original du paysage.

Un personnage apparaît sur la piste, à sa démarche Guillaume reconnaît Hugues le compagnon forgeron qui vient aux nouvelles.

C’était lui qui semblait le plus frileux... Exposé toute la journée à la chaleur de sa forge il supportait mal ce froid subit et ce sera celui qui s’approchera le plus prés du foyer, au risque de se brûler, pour se réchauffer les mains.

Lui aussi était contraint à l’inactivité.

-Le métal est si froid qu’il me brûle les mains au travers de mes gants de cuir, il est très difficile de travailler par ces températures.

-Je vais en profiter pour renouveler mes gants à l’entrepôt.

Soudain, les rafales se calment, une épaisse couche de neige recouvre le sol.

L’air devient subitement tranquille,

Un souffle à la pointe des arbres disperse en poudre la neige amassée sur les ramures.

Un branchage craque et s’écroule sur le tapis immaculé dans un petit bruit ouaté.

Le cri lointain d’un oiseau esseulé perce le grand silence…

Le feu dans la cheminée s’est consumé, de toutes petites flammèches essayent de maintenir le foyer en activité, une pièce de bois calcinée s’effondre provoquant une gerbe d’étincelles. C’est le moment de poser une bûche, une vraie, qui redonnera vigueur à l’âtre et chaleur à la pièce…

 

Sucré

 

Nous sommes fin mai. La procession à la mer de sainte Sara patronne des Roms, Manouches, Tziganes, Gitans, va débuter.

Tous ces gens de nulle part, qui n’ont rien, se sentent ici chez eux.

Se réunissent pour la fête…

La barque supportant la statue de Sara sort de l’église fortifiée des Saintes-Maries-de-la-Mer au rythme de pas lourds, portée par une armada de volontaires aux pieds nus. A chaque déplacement rythmé, les visages des fidèles présents au premier rang accusent une légère grimace comme pour révéler la douleur des porteurs.

Le « Maître des pas », l’homme qui aménage les pauses de tous ces hommes aux dos meurtris, les conduit lentement jusqu’aux premières vagues de la Méditerranée. Dans la foule immense chacun veut la toucher, lui jeter des fleurs. Les enfants sur les épaules des adultes lui envoient des baisers.

Les chants Manouches se succèdent jusqu’à l’approche des vagues. Puis c’est l’immersion. Le cortège s’engage dans la mer et se fige. La solennité plane sur l’assistance. Le silence s’installe.

Ricardo, ici on l’appelle Manitas de Plata ou le petit, c’est selon, entame avec sa guitare une mélodie langoureuse, envoûtante. Tous l’écoutent avec recueillement, les yeux rougis :

-Tu es béni le petit ! Tout est doux avec toi, entendra-t-on.

Le soir, la fête, les feux de bois, la cuisine qui rissole dans les chaudrons, les hommes qui replient leurs couteaux à cran d’arrêt la panse bien remplie, les danses. La lune complice qui complète le tableau.

Manitas de Plata jouera, jouera jusqu’à la fin de la nuit. Les femmes, dos cambré, menton relevé, pas saccadés, mains sur les hanches transmettent cette noblesse venue du fond de l’Andalousie…

Au petit matin, la roulotte s’ébranle traînée par un âne qui en a tant vu. Les hommes suivent à pieds, en saluant de la main le départ à moto de ce fils prodige, cheveux au vent…

-Tu es le sucre de notre vie, Manitas…

 

Liquide

 

Les buissons et les bouquets de roseaux proches de la rivière commençaient à s’agiter, la brise se levait, elle ne tarderait pas à s’imposer. A son passage chaque feuille réagissait de façon différente mais on en sentait l’humidité.

Elle descendait des montagnes toutes proches et transportait avec elle une odeur de terre mouillée…

Ce n’était pas encore le cas ici pourtant des signes annonciateurs ne trompaient pas, de fines gouttelettes commençaient à tomber éclaboussant la poussière du chemin. Brusquement à quelques pas du cheval, sur le chemin, un coup de vent d’une vigueur inattendue fit virevolter des feuilles éparses et l’homme rattrapa de justesse son chapeau mis en désordre.

Un oiseau de proie, une buse certainement, perchée sur un arbre à proximité eut le duvet de son ventre tout retourné, il prit son envol accompagné d’un cri de désapprobation.

-Hum, il me faut rejoindre au plus vite un abri !

Le rythme des gouttelettes s’accéléra alors qu’ils traversaient le bois.

Les branches des arbres pratiquement immobiles jusqu’alors se mirent à remuer comme pour débarrasser leurs feuilles des gouttes qui les dérangeaient.

Puis il commença à pleuvoir pour de vrai, sans mesure. L’homme remonta le col de sa lourde veste et ajusta son large chapeau.

Le cheval évitait de lui-même les flaques qui commençaient à se former sur le chemin, tout en donnant sa pleine puissance au trot.

L’homme sentait l’eau couler des coins de son chapeau et tremper sa veste.

Plus aucun cri d’oiseau n’était perçu. Le déchaînement de l’orage avait interrompue tous autres bruits. Le silence relatif faisait ressortir le crépitement de la pluie de plus en plus intense.

Par endroits, le chemin était traversé de ruisseaux en cru qui s’échappaient vers les terrains en contre bas et se répandaient parmi les herbes couchées…

L’attelage apparaissait illuminé par les éclairs qui déchiraient le ciel tandis que roulait le tonnerre…

 

Rouge

 

Le Txupinazo, ce pétard diffuseur de liesse, a explosé sur la place centrale. La foule en délire libère un chant longtemps retenu qui s’envole au-delà des maisons blanches à colombages rouges. L’orchestre a du mal à se frayer un chemin au travers des vagues de chemises et pantalons blancs. Seuls les bérets et écharpes rouges tranchent dans cette marée humaine pour ne faire qu’une immense tâche dans les rues, compacte, étendue, démesurée, rouge.

Une seule chose a le pouvoir de diluer cette marée écarlate : les taureaux aux cornes ornées de cocardes de la même couleur que tous ces bérets.

Nous sommes le douze juillet et la fête de Pampelune débute…

 

Propre

 

Seul le crissement régulier et mat du racloir qui décape les lames brutes de chêne résonne dans la pièce.

Les veines jaunes du bois apparaissent sous les copeaux. Le vieil arbre reprend vie. Les ouvriers, à genoux, torse nu et bleu de chauffe noué à la taille brisent la monotonie répétitive des gestes, la parole l’emporte sur les crissements.

-Alors, elle est venue hier aux Batignolles ?

-Oui mon pote, je lui ai offert son sirop grenadine !

-Un sirop grenadine ? Et toi tu t’es rabattu sur l’eau gazeuse ?

-De quoi je me mêle ? Pour ce premier rendez-vous, je l’ai écouté. Et bien tu le croiras si tu veux, elle m’a fait rêver !

-Oh ! Toi tu es en train de tomber amoureux,

Le troisième ouvrier, consciencieux, ne lève pas la tête de son ouvrage,

-Allez les gars, on doit finir ce soir, tout doit être propre !

Les lambris muraux gris et jaune surveillent tout ce petit monde. Par la fenêtre, le ciel nuageux de Paris se déchire, un coin de ciel bleu apparaît, lavé, propre….

 

Somptueux

 

Le soleil s’échappait sous les derniers nuages et caressait l’horizon chaotique des Grands Causses. Il aimait bien se promener dans le silence et les effluves de ces espaces sauvages. Les chênaies, chemins caillouteux, longs alignements de murets de pierres sèches, portails effondrés qui laissaient entrevoir quelques dolines où s’abreuvent les bêtes, tout cela lui permettait de remettre de l’ordre dans ses idées.

Des hirondelles voletaient, zigzaguaient et sifflaient en se pourchassant. Rémy ressentit soudain un grand calme intérieur, comme si tous les problèmes du monde étaient subitement résolus. Il s’était arrêté, profitant de la douceur de cette soirée qui s’installait. Le village en contre bas lui apparut recroquevillé autour des ruines de son château. Le chemin de halage, le long de la rivière fut le dernier léché par les rayons qui disparurent sans qu’il ne s’en rende compte…

 

Silencieux

 

Dans le silence du grand dessin immobile, un léger grésillement de l’air se fait sentir, la poussière virevoltante s’anime. Une tête aux cheveux blancs coiffée d’une drôle de casquette hors d’âge semble se glisser sous la voûte. Impalpable, invraisemblable.

Une main invisible trace courbes humaines et draperies féminines. Les flocons de nuages se mettent en place. Le satin des peaux répond aux ombres des végétaux. Le Pourpre se trace écarlate, érubescent, le Carmin se tinte de cochenille, le Vert se retrouve tendre, émeraude, hydraté, le fameux vert Véronèse, les Jaunes fanés évoluent du blond vers le safran, l’Indigo transgresse du pastel au rayonnement intense d’un ciel de Méditerranée l’été. La profondeur du décor s’installe. L’œuvre s’achève en quelques heures, là où des jours et des jours n’avaient conduit qu’à un « à la manière de » !

Paolo Véronèse répare son œuvre ! Et après ?

 

 

 

Gérald IOTTI

Rédigé par Gérald

Publié dans #Divers

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