CONTE DE L’OMBRE PENCHEE
Publié le 3 Janvier 2021
Au pays des rêves dorés, Alex vit dans un nuage. Pas dessus, non… Iel a le vertige et n'ose pas regarder ailleurs, le bas, le haut, tout ça lui fait peur. Alex voyage, juste à l'intérieur. Il est beau son nuage, il est rond, il est doux, violet, et il est mobile.. Alex le fait bouger grâce à son corps. Iel saute, se lève, se couche, court les yeux fermés.. le nuage balance et suit son geste, se lance à l'assaut des voies lactées.
Alex est connecté. Les ondes cérébrales ont supplanté la 5G, mise à bas suite aux dérives du climat. Le climat.. voilà le vrai débat.
Les nuages s'amoncellent sur une terre en surchauffe, et menacent de se répandre sans limite, voire de s'agglomérer.
Alex est bien en peine. Dur de rester solitaire à survoler le monde.. sortir de la bulle cotonneuse, ouatée.
Aller à la rencontre.
Alex est jeune. Depuis longtemps, très longtemps.
Ce jour il se lève un peu gauche, décidé à s'ouvrir. Pupilles encore voilée par le sommeil, il fait le premier pas. Sur terre. Ou bien dessous. Il ne sait pas encore. Il suit l'ombre colorée qui le précède et l'accompagne, frivole et curieuse. Une ombre chamarrée aux couleurs de ses humeurs, chatoyante comme le lit d'un fleuve qui serpente et s'égare sans souci de savoir.
Fleuve de Vie.. la mémoire de l'oubli.
L'ombre le porte aux confins du royaume des Jeux. Il y rencontre Mary, l'enfant penchée, dont le corps incliné gîte sur le côté, comme habité d'une force occulte, une pesanteur insoumise. Une attraction peu commune.
Marie questionne l'ombre d'Alex.. trop vivante pour être honnête. L'ombre qui marche..
Alex est bouche bée devant l'altérité.
Il se penche pour lui prendre la main, l'entraîne sur le lit du fleuve, qui devient labyrinthe. D'abord sous forme de marelle, avec nef et transept, avant d'atteindre le chœur.
Épreuve difficile pour une ombre qui marche et un corps qui penche.
Marelle d'éternité, miroir de Dédale.
Sous leurs pieds les arcanes du tarot égyptien. Surgit une momie vomie du passé, qui les scrute d'un œil vif. Geste furtif.
Alex s'éveille à l'envers, un peu plus jeune encore. La peau fripée, un relent de fumée, une fragrance citronnée.
Alex n'est pas pressé, il observe sans sourciller une boussole dont l'aiguille le fascine. Alex est rieur.. peut-être un peu meilleur.
Le soleil tapageur s'est échoué sur la glaise. Des torrents de boue.. les veines de la planète. Il faut calmer la braise, injecter l'antidote.
Un nuage noir illumine le ciel, quand surgit du Styx une horde d'oiseaux au corps papillon. Un battement d'ailes et tout se noie.
Alex oublie son nom. Le rêve de l'amnésie choisie. Il éclot à la vie, ressent la faim dénuée d'entrailles, épouse le masque neutre du fantôme qui se meut. L'évanouissement du loup.
Il est maintenant Peter, éternel adulescent. Il se joue des faveurs comme des calomnies. Plus cigale que fourmi.. en lutte contre l'ennui.
L'ombre incandescente de son histoire se mire et s'infiltre dans les veines du fleuve.. résilience. Reflets multiples au creux de sa pupille, fluctuant au fil du Flot.
Peter ou l'Éternel absent.
Prendre le temps de ne pas en perdre.
Il fouille sa poche, extrait l'arcane du bout des doigts. Le bateleur, annonce du chemin. Dépose la protection exosquelette. S'exposer ou périr..
Endormi au creux des vagues, il rêve la multitude au sourire figé. Face à lui, l'échiquier bicolore prend vie. Fou, dame ou cavalier, chaque pièce comme une énigme.
Il est cyborg animé, démiurge d'une terraformation. Nouveau monde qui s'efface à son insu, palimpseste sur vélin froissé. Les diodes clignotent et s'amenuisent. Errance nouvelle.
La terre, une carte balisée où souffle Eole, ventilo suprême de la fusion divine. Peter tente en vain d'inverser la semelle de ses bottes magiques.. il somnambule une marche à reculons, divergence plaisante et salvatrice, et sème l'essense du cédrat sur l'écran noir du passé.
La mémoire est empreinte de vie, et voyage dans le temps.