LUCIE OR NOT LUCIE ?

Publié le 3 Novembre 2020

Un frôlement dans mon sommeil, quelque chose bourdonne comme une mouche pour me faire émerger. J’ouvre un œil, m’étire, ouvre l’autre œil, stoppe net mon étirement. Là, sur la table de nuit, un bijou, une broche en forme de lemniscate avec une perle bleue sertie dans une boucle.

Je la reconnais ! C’est LA broche ! Une réminiscence de bijou, une broche inventée dans une histoire, la parure de Lucie, un personnage qui n’existe que dans un vieux texte rédigé à l’atelier d’écriture il y a quelques années. D’ailleurs, je m’en souviens encore :

 

Elle l’épinglait souvent sur une écharpe ou un châle. Bijou fascinant ! Lemniscate, symbole de l’infini… La perle posée tout en haut d’une boucle, prête à dévaler le ruban... à l’infini. Enfant, elle y voyait la Terre roulant sur une route de l’Univers pendant que sa mère, déesse toute puissante, harmonisait les mondes…

 

Ce bijou surgi de nulle part sur ma table de nuit n’est pas réel, je suis en train de rêver. Oui, je sais que je rêve. C’est impossible autrement. Faut juste que je me réveille, c’est tout.

Il me faut un café bien serré pour m’aider à réfléchir à tout ça. 

 

Tiens, ça aussi c’est une phrase de ce vieux texte. Bizarre que les mots me reviennent intacts après tout ce temps… Le clocher de l’église sonne onze heures. 

 

Déjà ! Ah, non, c’est l’incipit du vieux texte. C’est marrant, je la vois littéralement cette phrase. Elle s’étale à côté de moi et je comprends : je rêve encore. Allez, sors de là, ouvre les yeux ! Je gigote dans le lit, je me pince, ça fait mal, signe que je sors de ma torpeur. Un rayon de soleil filtre à travers les persiennes, se pose sur la table de nuit, illumine… la broche à la perle bleue ! Bon sang, je suis pourtant bien réveillée à présent ! Je saisis la broche, me pique à l’épingle du fermoir. Pour le coup, c’est sûr, je suis réveillée !

Examen minutieux de l’objet… L’index accroche le poinçon au dos du bijou, la minuscule lune cachée sur un revers d’infini. 

 

Ben oui, je le savais ça, c’est moi qui l’ai écrit ! Mais ça n’explique pas sa présence. Ce bijou n’existe pas, il ne peut pas être là et pourtant je le tiens entre les doigts. Une angoisse s’insinue, sournoise, rampe de mon ventre vers mon cœur. Quelque chose d’indéfinissable plane... Un éclat blanc heurte le coin de mon regard. Sur la table de nuit, un papier..

 

Joyeux anniversaire Jade, ma chère sœur !

Je t’embrasse bien fort.

Jane

 

Mais il n’y a PAS de Jade, Jane, Lucie ! Ce sont des personnages que j’ai IN-VEN-TÉS !! Pas possible… on me fait une farce ! Où est la caméra cachée !!? Ce message n’a rien à faire dans ma chambre. Il doit rejoindre le cahier d’où il s’est échappé – je me demande bien comment.. ?! – ainsi que la broche à la perle ! Je n’y comprends rien, la panique monte, ma raison chute..

 

Les souvenirs remontent comme des bulles.

Une maison, un jardin, sa mère, sa tante et elle, "p’tite Lulu".

 

Non, non, ce ne sont pas mes souvenirs… tourbillon… je me cogne aux mots éparpillés… Trop de questions sans réponses, trop d’émotions pour aujourd’hui… Chamboulement dans le vieux texte, l’écrit arrive en désordre dans ma tête... Dans le lointain, les montagnes adoucissent leurs crêtes, se fondent dans un sfumato d’un bleu délicat. Non, impossible, je ne vois pas de montagnes par la fenêtre de ma chambre d’habitude. D’ailleurs, je n’en vois pas actuellement, enfin pas vraiment, je ne vois que les mots qui les nomment, qui suggèrent les images, comme un texte que je serais en train de lire, comme si j’étais moi-même un mot… comme si je n’existais qu’entre les lignes… Serais-je devenue le personnage ? Je cherche à m’enfuir, en vain. Je suis cernée par les marges du cahier, prisonnière de la feuille de papier.

 

Un bruissement me froisse, je tressaille, chiffonnée entre deux doigts immenses. Un sourire se penche au-dessus de moi, au-dessus des mots qui me constituent à présent. Je ne suis pas Lucie mais Lucie est devenue moi.

J’aurais dû me méfier quand elle disait :

 

J’ai bien envie de m’y mettre, moi aussi, à l’écriture… je pourrais raconter l’histoire de la lemniscate… Je la dédicacerais comme ça : A tatie Jane et à sa fille, Jade… Oui, c’est ça. Dès demain, je m’inscris à l’atelier d’écriture.

 

Elle l’a fait... enfin, je crois… je ne sais plus si c’est elle ou moi qui écris ce texte… Je veux sortir… partir de ce cauchemar. Le clocher de l’église sonne onze heures. Encore onze heures, onze heures indéfiniment… et soudain, la nuit s’abat sur moi.

Lucie a refermé le cahier.

 

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Rédigé par Mado

Publié dans #Rêves

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