LETTRE A DIDIER
Publié le 14 Avril 2020
Heureusement que tu es parti, tu as quitté ce monde de ton plein grès il y a quelques mois. Tu ne connaîtras pas cette période si ... je cherche mes mots ... trouble oui c'est ça.
Je cherche mes mots, je cherche mes souvenirs, je cherche ma vie.
Je n'arrive plus à lire. J’ai pourtant posé sur ma table de chevet un petit tas de livres : petits et gros, déjà lus ou encore inexplorés, ils sont là, ils me rassurent, ils me sourient mais malheureusement ils ne me sont d'aucun soutien.
Du temps, du temps qui s’allonge à l'infini, du temps pour regarder des séries, des films, pour tromper l'ennui.
Des clémentines, des chocolats, de la farine et du beurre pour préparer du bonheur, pour régaler sa famille… mais l'appétit ne vient pas et j'ai maigri.
Heureusement il y a les amis, Facebook qui nous relie tous et nous ensevelit. On se sent ainsi unis, moins seuls car nous vivons tous la même chose, toi, moi, eux aussi au bout du monde. Je balaye mon écran et je vois tous ces élans de solidarité. Je n'ai pas une seule fois oublié d'applaudir sur le balcon à l'heure dite, je suis le maillon d’une grande chaîne, j'ai un sentiment de communion, une parenthèse, un moment hors du temps. Puis je retombe sur terre, je scrute la rue déserte, j'ai soudain mal au cœur et au ventre.
Ma jolie petite maison, tu nous héberges avec générosité, tu nous apportes ce dont on a besoin, sécurité, protection et paix, tu nous cajoles, nous enveloppe.
Peut-être que si on éteint la télé, on peut respirer, rêver, espérer... j'ai essayé oui un peu… mais le problème c'est que…
Je sais qu'il y a des milliers d’âmes qui s'élèvent vers le ciel alors que ce n'était pas encore leur moment, des milliers de personnes qui vont perdre des gens qu'ils aiment. Je sais que nos anciens se sentent abandonnés, mis de côté, enfermés, cloisonnés. Je sais qu’ils seront seuls à Pâques. Je sais que les gens fragiles se sentent encore plus fragiles, que leurs angoisses se densifient, se multiplient, au risque d'exploser. Je sais combien tous les soignants qui sont confrontés à ce virus sont fatigués, écœurés, angoissés, énervés, épuisés. Je sais que tout le monde est perdu, déboussolé...
C’est pour ça que je n'arrive pas à me détendre et à profiter de mes enfants, de ce temps qui m'est offert, de cette parenthèse à la fois douce et amère.
Finalement Didier, toi l’écorché vif, heureusement tu n’es plus là pour vivre tout ça.