LETTRE À ASTRID

Publié le 23 Avril 2020

Nice, le 23 avril 2020


 

Ma chère Astrid,

Alors vous êtes confinés, vous aussi. Nous, ça fait maintenant cinq semaines que ça dure. Cette immobilité forcée nous donne l’occasion de réfléchir, sur toutes sortes de choses, comme l’état du monde, notre avenir, notre passé individuel mais aussi collectif, notre vie. C’est sur elle que je m’arrête quelques instants, le temps d’écrire cette lettre.

Je trouve que les gens de notre génération ont eu beaucoup de chance. Nous sommes nées après la guerre. Nos parents, encore secoués par ses horreurs, mais plein d’espoir et de soif de bonheur, nous ont élevées avec bienveillance. Dans notre enfance, nous avons connues une amélioration des conditions de vie sans précédent. Il faut s’être réveillé tous les matins dans une maison frigorifiée pour apprécier à sa juste valeur le chauffage central, puis le frigo et la machine à laver.

C’est pendant ce qu’on appelle les Trente Glorieuses que nous sommes entrées sur le marché du travail. Nous en avons donc trouvé toute de suite, on avait même le choix. Autre conséquence de la pénurie (relative) de main d’œuvre, les conditions de travail se sont améliorées, à la fois en ce qui concerne la pénibilité que la durée. Nous avons alors cru naïvement que ça ne pouvait aller que vers le mieux.

Dans notre jeunesse, nous avons aussi connu la liberté sexuelle. Les codes d’avant la guerre étaient désuets, la pilule avait été inventée, puis, il n’y avait pas encore le sida. Au moment où ce virus-là a pointé son nez, nous connaissions les gestes barrière.

Pareil pour le travail, au moment où le nombre de chômeurs a augmenté, nous étions expérimentées, bien installées dans nos métiers, encore dans la force de l’âge, dans l’ensemble protégés par les indemnités de licenciement.

En fait, il était devenu normal qu’une femme travaille, qu’elle ait ses propres revenus, ce qui la rend indépendante des hommes. Nous sommes des femmes émancipées, grâce aux combats de nos ancêtres.

Nous avons pu voyager, ouvrir notre esprit, élargir notre horizon intellectuel, nous installer où nous voulions. C’est ainsi que tu as abouti en Australie, et moi sur la Côte d’Azur.

Aujourd’hui, le covid-19 ravage le monde entier, et nous avons de nouveau de la chance. Retraitées, nous ne sommes pas obligées de risquer tous les jours notre vie en allant travailler. Encore autonome, nous pouvons rester tranquillement à la maison, nous ne sommes pas parquées dans un EPHAD ou une autre institution. Nous pouvons occuper nos journées agréablement, enfin lire tous les livres que nous voulions toujours lire, voir des films que nous n’avions pas eu le temps de regarder avant, et, last but not least, écrire des lettres.

Prends bien soin de toi.

Inge

Rédigé par Iliola

Publié dans #Confinement

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