LA LETTRE

Publié le 11 Avril 2020

J’avais commencé à écrire « Chers lunaires » pour leur raconter notre confinement et toutes les misères que l’on supporte ici « Bas ». A la recherche de mots j’avais levé la tête et la lune m’était apparue lumineuse, éclairant la baie. Aussitôt avec mes jumelles je redécouvrais la mer de la tranquillité, la mer de la fertilité et celle de la sérénité. Avec des noms pareils, c’est la belle vie la haut. Je continuais mon courrier…

 

J’avais lu très tard hier soir, ou plutôt relu quelques classiques pour évacuer le stress de cette période. Je m’étais couché en toute discrétion.

Mon coussin n’était pas encore chaud qu’un tintamarre dans la bibliothèque du salon m’interpelle. Je m’empresse de me lever, me cogne à l’armoire parce que je n’ai pas allumé, j’enfile un peignoir et traverse précautionneusement l’appartement. Je pousse délicatement la porte du salon.

Un homme agité, vocifère les bras en l’air :

-Nous y sommes arrivés, nous y sommes arrivés,

-Calmez vous monsieur Verne, c’est peut-être une illusion, la lune c’est si loin.

Monsieur Verne ? Jules Verne ? Mais qu’est ce qu’il fait ici celui là ?

Une jeep lunaire traverse le salon en silence, moteur électrique oblige,

-Attention à droite ce gros caillou capitaine,

-Aucun danger moussaillon, nos pneus spéciaux absorberont le choc, ne craignez rien Tintin.

Comment ? Tintin avec son scaphandre, ça alors !

-Mais enfin Colomb, vous réalisez que vous allez effectuer un voyage extraordinaire. Nous sommes sur le mont Ventoux et vous allez atteindre la lune !

-Oui mais monsieur Barjavel et ma femme dans tout cela qu’est ce qu’elle va devenir ?

-Votre femme, votre femme, la conquête de l’univers, enfin Colomb vous y pensez ?

Ce Barjavel tout de même il y va fort !

Je ne me retiens plus :

-Qu’est ce que vous foutez chez moi ? Vous allez rentrer chez vous non ? Vous avez vu l’heure ?

Deux hommes en scaphandre me bousculent :

-Ce n’est pas bien ce que vous faites.

J’entends : Allo Houston, ici la lune, un petit pas pour moi mais un grand pas pour l’humanité.

-Oui, oui Armstrong, soyez prudent tout de même.

-Oui je disais, dit il en se retournant vers moi, ils n’ont fait qu’évoquer leurs rêves vos personnages, nous nous l’avons réalisé et voilà ce qu’on a trouvé :

 

 

Partout une fine poussière grise qui a du mal à retomber, pas une fleur, pas un arbre, pas d’eau, un grand silence et au loin notre bonne vieille terre. Nous on attend qu’une chose : c’est la retrouver au plus vite avec notre famille, nos amis, la pêche à la truite dans les rivières du Montana…

C’est vrai ça lui répond Norman Maclean, sur le bord de la rivière du sixième jour, la pêche à la truite dans nos rivières c’est quelque chose.

Je revois le film « au milieu coule une rivière » qui découle du livre, je ne peux qu’être d’accord.

Vous auriez dû nous remettre votre lettre, continue Armstrong, on l’aurait épinglé sous notre drapeau, mais de vous à moi je ne sais pas qui l’aurait lue.

Je me sens comme un intrus, je me recouche…

 

J’ouvre les yeux. Un calme habituel m’entoure. Je me lève sans réveiller personne. Je pousse avec précaution la porte du salon. Le radiateur diffuse une douce chaleur. Un rire semble flotter dans la pièce, mais non tout est normal.

Je lève les volets.

-Tu es réveillé ? Tu peux nous préparer le petit déjeuner ?

-Oui, oui bien sûr !

Parce qu’après il faudra nettoyer les poignées de portes, se laver les mains je ne sais combien de fois, passer l’aspirateur, nettoyer l’intérieur de la voiture (déjà fait), téléphoner à ma vieille tante pour prendre de ses nouvelles et lui demander si elle n’a besoin de rien, appeler notre petite nièce qui prépare son bac, en espérant qu’elle ne nous demandera pas notre avis sur l’instinct et l’intelligence de Bergson, astiquer la rambarde de la terrasse, ranger…mais quoi au fait, tout est déjà rangé…

Je m’approche de mon bureau. Un rayon de soleil est fixé sur ma lettre inachevée « Chers lunaires ». Je pensais avoir rêvé…

 

 

 

Gérald IOTTI

Rédigé par Gérald

Publié dans #Confinement

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