LES STUDIOS DE LA VICTORINE
Publié le 4 Janvier 2020
Depuis toute petite les studios de la Victorine me font rêver. Le cinéma en général. Les stars, les costumes, les aventures ont bercé mes rêves de jour comme de nuit. Alors, quand j’ai appris que la ville de Nice proposait des journées portes ouvertes pour découvrir cet endroit mythique, j’ai foncé. Et là, en marchant sur ce sol auparavant foulé par d’immenses vedettes de cinéma ou de grands réalisateurs, la magie opère ! La réalité est telle que je l’avais imaginé : les caméras, les travellings, les éclairages, les micros, les claps et même les fauteuils de toile qui attendent les prochains acteurs. J’y suis… Je fais un bond dans le temps. Je m’imagine en starlette des années 60, évoluer avec grâce dans ce décor de cinéma. Je déambule dans les allées, je m’imprègne de l’ambiance, je scrute chaque pièce, chaque détail. J’en prends plein les yeux, rien ne m’échappe. Et là, derrière un fauteuil dans la salle de projection, je découvre avec effarement une bobine de film un peu rouillée, à même le sol. J’ai envie de la récupérer et de la mettre dans mon grand sac cabas car à ce moment-là personne n’est avec moi dans la pièce. Ha ! Si.. trop tard ! Un technicien des studios rentre et me surprend avec la bobine entre les mains.
« Mademoiselle où avez-vous trouvé ça ? Montrez-moi : aucune indication, je ne sais pas à quoi cela correspond. Venez, allons la visionner et ainsi, nous serons fixés. »
Je suis aux anges ! je regarde avec intérêt le technicien monter, démonter, tourner, couper et enfin projeter le film sur le grand écran. Je suis sagement assise au fond du fauteuil, tellement impatiente que cela commence. Et quelle ne fut pas ma surprise... Alors que je m’attendais à reconnaître le générique d’un film connu des années 60 peut-être avec Brigitte Bardot ou Belmondo, je découvre avec stupéfaction le début d’un film en noir et blanc, et je regarde avec une certaine gêne, un homme au milieu d’une pièce sans aucun décor, sans aucun meuble, sans même de fenêtre. Un homme avec un par-dessus sombre. Il ne s’agit pas d’un film, cela ressemble plutôt à un documentaire. C’est comme si le personnage s’adressait directement au spectateur. Oui voilà, c’est ça : comme s’il me regardait moi, jeune fille recroquevillée dans son fauteuil. Il se passe un bref moment sans paroles qui me semble durer une éternité, l’homme me regarde fixement et dit cette phrase un ton lugubre :
« Vous qui êtes en 2020, faites très attention quelque chose de grave va arriver ! » Et puis plus rien, un drôle de bruit comme une chaîne qui déraille et se casse. Le silence et le noir total. Je me liquéfie sur place. Quelle angoisse ! Quoi ? Qu’est ce qui va nous arriver en 2020 ? Le technicien ne semble pas du tout inquiet mais plutôt amusé . Je ne vois pas ce qu’il y a de marrant à ce qu’un homme du début du siècle dernier revienne de chez les morts pour nous annoncer un message funeste.
Aucune indication sur la bobine du film, je ne peux donc pas faire de recherche sur cet individu et ses descendants. Après moult questionnements avec le technicien, nous repartons bredouilles, lui avec le sourire, moi en état de décomposition. Toute la journée les images de ce film me reviennent en mémoire et viennent me troubler. Qu’a-t-il voulu nous dire, que va-t-il nous arriver en 2020 ? Ici à Nice, en France ou dans le monde ? Vite, il ne me reste plus qu’à réserver un voyage en navette spatiale direction Mars pour échapper à ce désastre. Le soir même je me couche angoissée en essayant de me raisonner, de me dire de ne pas y repenser, il ne s’agit que d’une mauvaise blague ! Malheureusement même dans la nuit ces images me hantent. Et je me réveille le lendemain matin en sursaut. Je regarde l’heure avec horreur : il est 10h du matin et je viens de rater mon rendez-vous mon rendez-vous d’embauche pour un super poste de directrice marketing.
Je n’arrive même pas à bouger dans mon lit car l’angoisse me paralyse entièrement. Au lieu de me précipiter pour téléphoner à l’agence de recrutement pour essayer d’avoir un autre rendez-vous, je reste figée et je revois encore et encore les prévisions de l’homme dans ce film aux studios de la Victorine.
Oui il va m’arriver quelque chose de grave en 2020, je n’aurai pas de boulot, pas de revenus pour payer le loyer de mon studio dans lequel je viens de m’installer et je finirais par dormir sous les ponts.
En fait le message de l’individu dans ce film ne s’adressait pas à tout le monde. Il ne s’adressait qu’à moi, Pauline, 20 ans, jeune fille crédule et angoissée.