LE MARI DE LA COIFFEUSE
Publié le 25 Janvier 2020
Depuis son naufrage, il y avait déjà quatre ans de cela, ses cheveux n’avaient plus rencontré un peigne. Il faut dire que sur son île il n’y aurait eu qu’une arête de poisson qui puisse faire l’affaire.
Aussi, il était hésitant devant ce salon de coiffure mixte. Son retour à la civilisation s’annonçait difficile.
Il finit par rentrer. La clochette d’entrée tinta gaiement. A ce moment, il se trouva projeté dans un monde qui lui sembla merveilleux. Il se félicita de ne voir aucun autre client. Toutefois, il s’étonna que personne ne l’accueille. Il patienta quelques minutes puis retourna ouvrir la porte pour faire tinter à nouveau le gai carillon. C’est alors qu’un ange lui apparut. « Oh, oh, je rêve ? Est-ce bien là un être de cette planète ? Quelle beauté ! Est-ce là la nouvelle race des coiffeurs ? »
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Monsieur, soyez le bienvenu, que puis-je faire pour vous être agréable ?
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Bien, je ne vous cacherai rien en vous disant que je viens pour des soins capillaires.
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En effet, ma question est superflue, mais dites-moi, cette toison n’a pas vu un peigne depuis combien de temps ?
« Oh, oh, je n’aime pas ce ton. Pour qui se prend-elle ? »
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Je suppose qu’on les coupe ? L’hiver est fini, vous n’avez plus besoin de cette parure… encombrante… si j’en juge les difficultés que vous avez à rassembler cette crinière.
« Calme-toi, elle te taquine, il faut dire que tu fais un peu peur à voir, non ? »
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Bon, il faut que je vous dise. J’arrive d’une île du bout du monde sur laquelle j’ai échoué voilà quatre ans. Effectivement, durant ce temps la nature a fait son œuvre et me voilà un peu dans le rôle de la bête.
« Bien, bien, si elle voulait prendre le rôle de la bête, je ne dirais pas non ! »
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Bon, allez-vous asseoir au lave-tête. Je pense que je peux transformer cette tignasse et vous rendre l’allure d’un homme de notre temps.
« D’un autre temps… d’un autre temps… elle veut me faire croire que je lui rappelle un homme préhistorique ? Bon, installe-toi et attends avant de t’énerver. »
Il s’installa alors avec des gestes gauches, l’habitude perdue. Elle commença alors le shampoing assez vigoureusement.
« Oh là ! je la pensais plus douce ! »
Puis au bout de trois rinçages, elle lui appliqua un démêlant expliquant que c’était pour faciliter la coupe. Enfin, elle se saisit de la serviette et lui frictionna son énorme chevelure avec douceur.
Elle le fit changer de place et l’amena sur un siège où il se vit dans le miroir, ainsi que cette femme qui lui était apparue comme un ange.
Il la détailla alors.
Elle se pencha et lui demanda à l’oreille :
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On coupe court ou on fait ça en plusieurs étapes.
Il avait senti son haleine mentholée et cela l’affolait.
« Bien, je lui réponds quoi ? Si je dis court, je ne la revois pas avant longtemps. Non, elle me plaît trop. Je vais choisir l’autre option. Mais ne t’emballe pas mon vieux ».
Elle sentit son hésitation et commença à couper quelques centimètres. Il fermait les yeux de bonheur. Il sentait les mains de son ange comme deux papillons virevoltant au-dessus de sa tête. Et peu lui importait maintenant qu’elle coupe deux ou dix centimètres.
A la question : «je suppose qu’on fait la barbe aussi ? » il ne put s’empêcher de répondre avec enthousiasme tant il se trouvait bien entre ses mains.
« Je sens que je deviens un nouvel homme, arrête le temps, jolie coiffeuse et fais de moi ce que tu veux. J’ai trouvé la bonne adresse. Je donne ma tête à couper que cela était écrit. Une sorte de toison d’or. »