LE FAUTEUIL
Publié le 25 Janvier 2020
Mon premier contact avec le cinéma fut un choc : j’avais cinq ans et je découvrais « Blanche Neige et les 7 nains ». Un délice jusqu’au moment où la sorcière offre cette pomme si appétissante à Blanche-Neige. Je fondais en larmes. Confortablement juchée sur un fauteuil rouge qui semblait m’avaler, j’ai été touchée par le virus et je demandais sans cesse à ma mère d’y retourner.
J’habitais dans un quartier populaire de Paris qui comptait quatre cinémas. Mais longtemps, c’est le REX COLONIE, où j’avais fait mes premiers pas de cinéphile en herbe, qui fut mon préféré.
J’y avais pris mes marques souhaitant m’installer au 4ème rang, 7ème fauteuil. Allez savoir pourquoi ! Il me semblait que ce fauteuil était un peu le mien.
Je m’imaginais bien plus tard un bavardage à bâtons rompus avec lui : il me parlait de Sylvana Mangano dans Riz amer, de Gérard Philippe dans Fanfan la Tulipe, des nombreux films de Laurel et Hardy que je ne manquais sous aucun prétexte, et surtout, il n’oubliait pas de me taquiner pour les 7 fois où j’étais venue voir Luis Mariano dans Violettes Impériales. Moi, je lui disais la tendresse que j’avais pour son velours que je comparais au pelage d’un animal de compagnie, ses accoudoirs usés laissant apparaître le bois comme de petites blessures. Il me semblait que j’avais grandi avec lui. Mais lui me racontait ses misères : des esquimaux qui fondaient trop vite et souillaient son velours, des brûlures de cigarettes (oui, cela semble insensé de nos jours), des pieds boueux qui se reposaient sur lui. La liste était longue et cela finissait toujours quand-même par la phrase « c’était le bon temps ».
J’ai quitté ce quartier pour faire ma vie comme on dit, et un jour je suis passée devant le REX COLONIE mais à la place il y avait un Franprix. Ainsi mon fauteuil avait dû finir sa vie dans une benne avant de se retrouver dans une décharge ! Quelle triste fin pour mon ami.