PAROLES D’ATELIER
Publié le 15 Octobre 2019
Journées Portes Ouvertes aux Studios de La Victorine. Pour l’occasion, la fée-ciné m’a donné la parole. J’en profite pour vous raconter ce qui se passe autour de moi. Je n’ai jamais vu autant de monde ! Heureusement qu’une barrière empêche les gens d’entrer et d’accéder à mes vieilles machines. Elles sont à l’arrêt aujourd’hui. Le vacarme provient de l’extérieur, de la foule. J’attrape quelques bouts de phrases au passage … ça sent bon le bois… il est grand cet atelier… alors c’est là qu’on faisait les décors… ?
Hé oui, c’est là qu’on faisait les décors. Je suis l’atelier de menuiserie des Studios de La Victorine et j’en ai vu passer… Une grande équipe d’ouvriers pour scier, tailler, clouer, sculpter le bois. Les machines tournaient toute la journée.
Je crois que le summum des décors, c’était pour le film Les Enfants du Paradis. On a construit toute une rue de façades imitant une rue parisienne. Des décors énormes, un travail gigantesque. Ah ! Elles ont souffert mes pauvres machines, et les ouvriers aussi. Un millier de figurants, une cohue gesticulante entre les panneaux de bois. Fallait faire du solide, croyez-moi ! De temps en temps, un élément du décor revenait vers moi pour restauration. Ah ! Quelle époque !
Dommage que ma parole soit inaudible. Les gens passent sans m’écouter. Quelques panneaux explicatifs les renseignent ; je doute qu’ils sachent transmettre l’enthousiasme, l’effervescence, le rêve, l’illusion qui émanaient de cette aventure. De ces aventures… Car il y en eu de beaux tournages à La Victorine !
Tiens ! Vous souvenez-vous de Brigitte Bardot dansant le mambo dans Et Dieu… créa la femme ?
Le décor ? C’est moi qui l’ai fait. Le sol en damier noir et blanc, les escaliers, les murs, tout est issu de mes machines et de mes ouvriers… des ouvriers qui travaillent sous mon toit, je veux dire. D’ailleurs, certains se sont éclipsés lors du tournage de cette scène. Je devine bien où ils sont allés…
J’ai participé à tellement de films en cent ans d’existence. Si je devais vous parler de tout ce que j’ai abrité ici, cent ans n’y suffiraient pas.
Le soleil décline déjà. De la foule compacte de l’après-midi ne restent que quelques quidams éparpillés. Les gens s’en vont. Bientôt la nuit, le silence, le repli derrière mes portes fermées.
Mais je garde l’espoir… Un jour, un nouveau décor s’élèvera...