RÊVE DE FAUTEUIL
Publié le 15 Octobre 2019
La lumière s'éteint... Je pousse un soupir d'aise, les bras ballants. Quelques silhouettes éparses dans la salle, une musique douce qui s'installe, l'idée du bonheur..
La bande-son qui me parvient titille mes oreilles. Un dialecte sud-américain qui fait chaud au cœur. Sans parler du thème abordé.. La Guerre des Clans en Colombie, à l'aube du commerce de la drogue. Près de moi, un ado hébété se prend au jeu et envoie vers le ciel des volutes odorantes.. un régal ! Mais.. pourvu que ses effluves n'imprègnent pas trop mes tissus.. ça pourrait dissuader de futurs clients !
Du coup, je m'envole..
La semaine dernière, malgré un gros balourd qui pesait sur moi et obstruait ma vision, j'étais au Kenya, me délectant des amours interdites de deux jeunes beautés blacks en tenue chamarrée..
Je voyage..
Oups ! Une mégère endimanchée s'est faufilée dans le noir, et s'assoit sur moi de tout son poids, me coupant le souffle, jusqu'à expirer un jet de poussière moite. Je peste en silence. Ses vertèbres gigotent et me chatouillent, mon champ de vision se réduit aux tresses multicolores de la jeune kenyane délurée. Une désolation.
Trente ans plus tôt.
Je vis à Paris, la ville lumière, dans une salle obscure dédiée au film d'horreur.
Le Brady, au quartier latin.
La salle est pleine d'une jeunesse insouciante et fantasque, qui aime jouer à se faire peur, gloussant de joie et les yeux exorbités. Quant à moi, je suis squelettique, à peine recouvert d'un tissu sombre, très vite effiloché. C'est le temps des vaches maigres..
Plus tard, je m'impose dans une salle d'art et d'essai à peine plus confortable.. et reçois en mon sein d'augustes postérieurs, agrémentés de têtes bien faites.
Ah... Les intellos !
Bientôt peut-être, je finirai mes jours dans les studios rénovés d'un pôle mythique du cinéma. C'est du moins le rêve de mon directeur.
Aujourd'hui....La Mégère semble avoir entendu mes soupirs furtifs.. après une série de vives contorsions, elle se dégage de mes bras comme si j'exhalais soudain un jet pestilentiel. Ouf..
Autour de moi, beaucoup de collègues sont vides, attestant sans doute de la désaffection des salles en faveur du home cinéma.. triste époque !
La salle est déserte...
L'image s'est figée sur une chaste étreinte des deux héroïnes africaines.
Dans mon dos une présence. L'ouvreuse vient contrôler l'état des lieux, et récolter les objets oubliés. Elle glisse sa main sur ma peau, me caresse doucement, décolle quelques cheveux abandonnés. Enfin on me cajole, on s'occupe de moi.. et de mes camarades. Juste retour des choses.. je suis le fer de lance du confort moderne. Moi, et mes amis de velours.
Une ode au 7e art..!