LA TRISTE HISTOIRE DE LA VOITURE DU CORNIAUD
Publié le 7 Octobre 2019
Je suis – ou plutôt j’étais – le fidèle compagnon d’Antoine Marechal. C’était un modeste commerçant qui tenait sa boutique dans un quartier populaire de Paris. Pendant de nombreuses années, nous étions inséparables. Tous ses voisins connaissaient sa 2 chevaux. Le dimanche matin, quand son magasin était fermé, il me bichonnait, me lavait, me lustrait, ce qui faisait mieux ressortir ma belle couleur bleue dont j’étais si fière. Je lui rendais bien les soins qu’il me prodiguait. En toute circonstance, il pouvait compter sur moi. Qu’il pleuve, qu’il vente, je démarrais au quart de tour, et c’était pareil lorsque le thermomètre descendait à moins dix.
Hélas, un événement tragique a mis fin à notre belle amitié. Comme tous les ans, Antoine baissa le rideau de sa boutique le premier août pour s’accorder quelques semaines de vacances bien méritées. Vacances pour lui, heures sup pour moi. J’étais pourtant heureuse. Après avoir passé onze mois à Paris, entrecoupés par quelques petites escapades en Normandie, j’avais besoin du grand air, du Sud, du soleil. Nous partions sur la Côte d’Azur, où une vieille tante d’Antoine nous attendait avec impatience. En échange du logis, Antoine effectuait des petits travaux. Dans une maison, il y a tant de choses à faire ! Nous voilà partis, moi toute rutilante, après une révision à fond, Antoine avec un chapeau pour le protéger du soleil. Nous cherchons notre chemin à travers un Paris encombré pour rejoindre la RN 7, bien connue comme la route des vacances. Profitant de notre priorité, nous traversons un carrefour, ou plutôt, nous tentons de traverser un carrefour, car en plein milieu, une Rolls Royce énorme, costaude comme un tank, me transforme littéralement en pièces détachées. Tout hébété, Antoine reste là, assis sur la chaussée, encerclé des débris de moi, sa voiture. Mais rapidement, le conducteur du tank, je veux dire de la Rolls Royce, arrive pour amener Antoine avec lui. Moi, je reste là, au milieu du carrefour. Naïve comme je suis, je m’attends à ce qu’Antoine s’occupe de moi, qu’il ramasse mes morceaux et qu’il m’amène dans notre garage habituel. Mais Antoine ne revient pas. Finalement, c’est un dépanneur, appelé par la police, qui s’est chargé de l’enlèvement de mon squelette pour m’amener au cimetière des voitures.
C’est là que je guette le retour d’Antoine, depuis des nombreuses années maintenant. Il ne peut pas m’abandonner. Mais, va-t-il me reconnaître ? Je suis toute rouillée. Presque rien ne reste de ma belle couleur bleue.