SALLE 5, À L'ÉTAGE
Publié le 24 Septembre 2019
L’insupportable piétinement en file d’attente face au guichet va enfin pouvoir cesser. Jambes lourdes, genoux engourdis, lombaires en miettes. Et cacophonie de parfums délicats mêlés de relents corporels. Il est grand temps de passer dans la salle obscure.
- Salle5, à l’étage ; bon film
- Merci.
Les murs sont tendus de carmin dès le hall, comme il se doit ; l’escalier n’est pas en reste : seul l’or des barres en fond de marche brille sous les spots. On grimpe lentement, presque cérémonieusement, en effleurant du bout des doigts le rouge moelleux, le bruit des pas étouffés par cette débauche de velours. On revit son mariage ou on se rêve gravissant les marches d’un certain Palais des Festivals… Le sas maintenant, et ses portes d’accès à la salle. On ne sait jamais comment s’y prendre avec elles : faut-il pousser ? ou tirer ? L’obscurité croissante n’arrange rien à l’affaire. Le plus sûr est de suivre de près un autre spectateur en espérant qu’il aura la courtoisie de retenir la porte ou, mieux, de céder le passage.
Pénétrer dans la salle obscure est toujours une épreuve, parce qu’elle est obscure, justement, et remplie de pièges comme ces rangées de sièges sombres et ces marches en contre-jour, toujours trop larges et irrégulières. Le plus simple serait de se glisser illico dans la première rangée venue, au fond de la salle, oui mais voilà, le cinéma, c’est le grand écran, c’est fait pour en prendre plein la vue (sinon, autant rester chez soi devant son téléviseur, non ?). Alors il faut bien affronter courageusement l’épreuve des maudites marches.
Le choix de la rangée n’est pas simple. On jauge la taille de l’écran, on apprécie le recul, on évite soigneusement la proximité des spectateurs de grande taille, de ceux qui arborent des chevelures extravagantes, des enfants qui ne manqueront pas de bavarder et de froisser leurs papiers de bonbons. On hésite un peu, pas trop, pour ne pas paraître indécis. Et on se glisse enfin à tâtons vers la place convoitée, en espérant ne pas être importuné par de futurs voisins indélicats.
Bientôt la musique de fond se tait ; la lumière tamisée diminue sensiblement sans toutefois plonger l’assistance dans le noir total. On se félicite de s’être installé avant ce moment fatidique. C’est le temps des publicités et des bandes-annonces : Jean Mineur s’envole vers un cinéma flottant dans les airs mais on regrette le temps où il projetait sa pioche « en plein dans le mille », sans transition une bouche gourmande couvre tout l’écran pour croquer un cornet de glace à faire saliver avant qu’un super-héros traverse une immense boule de feu dans un vacarme assourdissant, suivi d’un animal de synthèse qui jappe une réplique hilarante en ébouriffant son pelage plus vrai que nature. L’enchaînement rapide est abrutissant et n’a aucun sens mais cela fait partie intégrante du spectacle (car sinon, autant rester devant son téléviseur, non ?). On en profite pour basculer son mobile en mode silencieux.
Il fait maintenant tout-à-fait noir. Le spectacle commence par une succession d’animations aux couleurs des financeurs, pas plus censées et tout aussi agressive que l’enchaînement des publicités précédentes. C’est une transition nécessaire vers la magie du film qui va bientôt nous arracher larmes ou éclats de rire. On recherche la position idéale, on se cale dans son fauteuil, les sens en éveil. L’émotion est imminente. Chut…