VARIATIONS GOLDBERG

Publié le 12 Mars 2019

Pour les autres, il pourrait s'agir d'une partition sans note.

Pour elle, un livre dont les pages remontent le temps.

Ses yeux se brouillent en suivant le tracé voluptueux de l'encre sur la page, qui semblent refluer pour irriguer sa pensée.

Les variations Goldberg.

L'aria initiale, sarabande céleste, mécanique précise du contrepoint.

La diversité des Variations. Une trentaine en tout. Sa fille petite, qui tient à s'entraîner sur le cruel exercice, conçu pour clavecin à 2 claviers. Elle peine à rester droite face au piano à queue. Et à croiser ses mains. Sa fille...

La musique résonne en elle, même si.. des boules dans les oreilles. Comme Glenn Gould. Les vibrations du corps bien avant l'audition.. et le dos courbé sous le poids du passé. Le silence installé comme une éternité.

Elle revoit l'enfant sur son vélo, ultime silhouette s'enfonçant dans la forêt. Le carrefour décisif. Les cris.

Les notes mugissent pour atteindre l'apogée. Elle, les freine à peine, un soupir, une pause possible.​ Largo ma non troppo.

Glenn ferme les yeux, en même temps que l'ouïe. Il frôle de son nez les touches du clavier. Staccato.

Elle revoit ses propres séances d'entraînement, un enfant sur chaque cuisse, peinant à impulser ses émotions au fil des doigts, ses petits boudins blancs courant sur les notes..

Goldberg était claveciniste pense-t-elle, plus aisé de jouer l’œuvre du maître sans se croiser les mains. Les variations de l'Aria. Le chef-d'œuvre de Bach, une superposition de lignes harmoniques.. une commande soporifique pour un comte insomniaque. Elle sourit.

La partition sans note. Un chapitre, une variation. Au fil de la mémoire, les yeux vers l'intérieur. Elle s'évade à chaque reprise, happée par la prouesse d'une image mémorielle. Les variations s'enchaînent, les doigts folâtrent et les images avec.​ Le feu rouge, le heurt.

La partition interrompue.

Elle joue, inlassable. Tourner les pages. Atteindre l'Aria finale, le mouvement initial.. et muter la mémoire en hommage incessant.

Ouvrir les yeux.

La partition n'est plus la même dans l'encre de ses veines. Les notes ont repris vie et lui sourient, elles courent sur ses lèvres et dans ses yeux.

Le fragile livret s’est figé dans ses doigts transis.

Rédigé par Nadine

Publié dans #Lire pour écrire

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