SOUVENIRS EN BOITE
Publié le 27 Février 2019
Virginie ne pouvait plus compter que sur elle-même, sur ses propres ressources. La vie avait fini par quitter le corps de sa maman ; son âme libérée pourrait enfin rejoindre celle du père, parti pour l’au-delà quelques années auparavant. Maintenant venait le temps douloureux de ranger, de faire le vide, de jeter bien des objets accumulés durant des années dans cet appartement devenu inutile.
Le cœur gros, Virginie s’arma de courage pour s’atteler à cette tâche douloureuse. Les souvenirs suintaient de chaque pièce, chaque meuble, chaque bibelot exposé, chaque photographie punaisée au mur. Chaque objet touché, chaque regard, soulevait une vague d’émotion qui déferlait sur les rives de ses prunelles embuées. Virginie tenta d’endiguer la marée en se posant un moment dans la cuisine devant un verre d’eau.
Puis elle se remit à l’ouvrage. La « chambre des enfants » maintenant. Sa chambre. Son lit et son placard. Que faire de ces meubles chargés de son histoire ? Elle avait grandi depuis longtemps ; elle n’avait nul besoin de ce mobilier enfantin qui lui paraissait soudain vieillot et un peu ridicule. Virginie ouvrit le placard, bien décidée à tirer un trait définitif sur ce passé, mais quelle ne fut pas sa surprise d’y découvrir une vieille boite à chaussures, avec la simple mention « Virginie » portée par l’écriture tremblante des dernières années de sa mère. Après le décès du père, elle avait pourtant déjà trié, jeté, débarrassé ses objets personnels. Virginie ouvrit précautionneusement la boite en carton. Une lame de fond l’envahit quand elle aperçu la petite boite en bois décoré, sa « boite à baisers ».
Elle revoit tout : papa et maman de retour du grand voyage anniversaire de leurs amours, dans un autre pays, loin, là-bas, à Istanbul. Le bonheur des retrouvailles ; la pluie de cadeaux. Et cette petite boite à l’octogone étrangement allongé, décoré de mille motifs répétitifs et si minuscules qu’aucun pinceau ne pouvait être assez fin pour les dessiner.
« Mais, maman, il n’y a rien dedans…
- Tu y mettras ce que tu voudras, ma chérie, tes trésors ; tiens, voilà déjà un baiser. »
Et maman referme prestement le couvercle après y avoir soufflé son amour maternel.
Virginie ne pouvait détacher son regard humide de la boite à baisers. Sa main caressait le vernis, tournait et retournait l’objet pour y faire miroiter la lumière. Pendant toutes ses années d’enfance, elle n’avait pu se résoudre à soulever le couvercle, de peur de laisser échapper le précieux baiser.
Enfin, Virginie s’approcha de la fenêtre ouverte, démit délicatement le couvercle et offrit la boite ouverte aux caresses des vents.
« Voilà ; va rejoindre maman, dis-lui que jamais je ne l’oublierai. »
Enfin libérée du poids des émotions, Virginie se décida à se séparer de son enfance ; maintenant, elle pourrait se débarrasser de tout, à l’exception de la boite à baisers.