STEPHANE
Publié le 19 Janvier 2019
Aujourd’hui j’ouvre mon journal, je m’appelle Stéphane je suis étudiant en art. J’habite un immeuble de trois étages situé au quartier bon voyage.
Lundi 7 Janvier 2019
Cette année 2019, commence bien, un peu de culture dans ma boite aux lettres. C’est vrai quoi, tous les jours elle se remplit de publicité, de factures que je n’arrive pas à payer. Il faut dire que ma situation d’artiste peintre ne me permet que de me louer ce petit appartement au 3eme étage de cet immeuble situé dans le quartier populaire de bon voyage. Et là, c’est drôle, ce papier imprimé était une bouffée d’air pur qui me faisait oublier un instant ma situation.
Ce n’était pas un roman, juste quelques lignes, signé Delacroix. En quelques mots le texte nous faisait part, et nous décrivait l’art et la manière de peindre vu par l’auteur.
L’instant de surprise passé, je me posais la question : Qui à eu l’idée de déposer dans nos boites aux lettres, oui il faut dire que nos boites aux lettres sont en verres et je pus constater que chaque locataire avait reçu son instant de culture. Ce n’était pas le facteur il était trop tôt dans la matinée.
Ça ne pouvait être alors qu’un de mes voisins ou voisines. Je me plus à imaginer comme dans le jeu Cluedo qui était le coupable. Le père Louis du premier, la fougueuse Mado du deuxième ou enfin…..
Je passais tous mes voisins dans ma tête, emportant, glissé dans mon journal, ce moment de culture qui était venu à ma rencontre en ce lundi 7 janvier.
Lundi 14 janvier 2019
La semaine se passa sans problème, ponctuée par mes cours à la villa Arson. Ce lundi je me levais tôt car j’avais un rendez-vous important avec mon banquier. Je descendis mes trois étages en pensant à tout ce qu’il fallait que j’argumente pour faire comprendre ma situation. L’immeuble était silencieux, même Lucien ,notre concierge, n’avait pas encore ouvert sa loge. Pourtant, quelque chose attira mon regard, là sur le mur du hall d’entrée, un tableau dans un cadre doré, était accroché. Malgré mon retard, je fus tétanisé par la douceur de ce tableau. Invitation à la promenade, les couleurs se mélangeaient comme si je regardais un paysage à travers la brume matinale.
Qui avait réalisé ce tableau ? Pas de signature ni signe de reconnaissance.
Qui dans l’immeuble s’amusait à nous inviter à ce jeu de la culture ?
La semaine dernière une citation, aujourd’hui une toile, j’aurais voulu attendre la prise de service de Lucien, lui pourrait éventuellement répondre à toutes mes questions sur ce mystère.
Pourtant je dus m’arracher à ma contemplation, mon rendez-vous était important. Je pris une photo du tableau en me promettant ce soir je lui demanderai.
N’empêche, ça a de « la gueule » cette mini exposition dans notre entrée. Ça donne à notre immeuble un petit coté bourgeois.
Assis dans le tram, je m’amusais à essayer de trouver lequel de mes voisins avait laissé l’empreinte de son imaginaire sur cette toile. Je les passais tous en revue, et je m’aperçus que je connaissais par leur prénom tous mes voisins. Pourtant on ne se fréquente guère, juste un bonjour bonsoir en se croisant dans les escaliers. J’arrêtais mes divagations policières devant l’entrée de ma banque. Ce soir je reprendrais mon enquête, l’affaire devenait croustillante. De retour chez moi, je vérifiais que le tableau était toujours là. Lucien était dans le hall, j’en profitais pour lui poser des questions sur la présence de ce tableau accroché la sur le mur. Sa réponse agrandissait encore plus le mystère, il m’avoua ne pas savoir et qu’il n’avait pas encore eu le temps de téléphoner au syndic pour savoir si c’était une de leur initiative. Je sentis dans sa réponse un peu de colère, comment, lui le concierge, lui qui est sensé tout savoir sur les faits et gestes des habitants de l’immeuble était dans l’ignorance ! Il reconnu tout de même que le tableau était beau et qu’il avait fière allure dans le hall. Je le quittais là, sur ces bonnes paroles. Assis devant ma table, je disposais comme dans les séries policières, plusieurs rectangles de papier, sur lequel j’avais écrit les noms de tous mes voisins. J’écartais de suite le papier de Lucien suite à la conversation que j’avais eu avec lui et je commençais à réfléchir devant ces 11 papiers. Je les classais d’abord par ordre alphabétique et par profession. Je pus constater ainsi que beaucoup d’entre nous avait une profession qui touchait de prés ou de loin à l’art. A part ce constat, après 1h de réflexion, je n’avais pas avancé d’un iota dans mon enquête. Je rangeais soigneusement mes petits papiers dans une boite, en me disant peut être que, lundi prochain, va surgir un nouvel indice qui me donnera la solution.
Lundi 21 janvier 2019
Je me levais de bonne heure alors que rien ne m’obligeait à le faire, seule l’envie de descendre dans le hall pour voir si aujourd’hui un nouvel indice venait s’ajouter pour me permettre d’élucider mon enquête, que j’avais appelée « le mystère culture ». Quelle fut pas ma déception ! Rien, pas un mot ! Heureusement le tableau trônait toujours dans le hall. De retour dans mon deux pièces, je décidais de provoquer mes voisins en leur adressant une lettre.
Chers Voisins, Voisines
Permettez-moi de venir, par cette lettre, tout d’abord vous dire bonjour !
Comme moi, vous avez dû être surpris par ce qui arrive dans notre immeuble en ce début d’année. La citation déposée dans notre boite aux lettres et le magnifique tableau qui, accroché par une main anonyme, vient embellir notre entrée.
Ma demande aujourd’hui n’a pas un caractère de contestation mais de curiosité. Depuis deux semaines, je me pose beaucoup de questions et surtout QUI ? parmi vous a décidé de venir, par quelques mots et une toile, éclairer d’un jour nouveau nos habitudes, notre solitude. Ces deux événements m’ont obligé, et je pense que cela doit être la même chose pour vous, à me poser mille questions, vous regarder et me dire c’est peut être lui ou elle. Me rendre compte de votre existence, ne plus être plongé dans ma solitude. Mon seul regret aujourd’hui, c’est de ne pas pouvoir encore mettre un nom à mon merci avec un grand M. Vous, enfin toi qui se cache derrière ce mystère, qui après deux semaines de réflexions, je doute encore qui de :
Louis, Joseph, Nathalie, Judith, Eve, Olivier, Jérôme, Pierre, Charles, Mailis, Marc, Lucien nous entraînent dans cette enquête culturelle.
Voila chers voisines, voisins, ce que je voulais vous dire et à toi l’auteur du tableau, oui TOI, fais-moi le savoir, dis-moi qui tu es. On n’a pas tous les jours l’occasion de remercier quelqu’un. J’attends ta réponse avec impatience.
Stéphane, du 3eme
Lundi 28 janvier 2019
Lundi enfin, j’ai hâte d’aller voir ma boite. Je descends en chantant la chanson de Graeme Allwright, petite boite, mon aventure culturelle continue. Quatre lettres m’attendent sagement dans leur enveloppe. Je remonte rapidement chez moi. Fébrile, j’ouvre ma première lettre, elle est signée Judith qui a première vue, a effectué la même démarche que moi, une lettre circulaire adressée à tous les voisins. La deuxième est signée Jérôme, le carreleur du deuxième ; j’aime sa simplicité et sa générosité, il pense que je suis l’auteur du tableau et il est prêt à m’aider pour exposer dans d’autres immeubles. Il va falloir que je trouve les mots pour ne pas le décevoir et le remercier pour la haute estime qu’il a de mon travail. Je déchire l’enveloppe de la troisième, une longue lettre signée Mailys, la petite fleuriste du premier, mignonne et à la lire, avec un sacré caractère. J’aime son invitation déguisée à passer chez elle. Elle aussi pense que c’est moi l’auteur du tableau. Il va falloir que je pèse mes mots pour lui répondre, il ne faudrait pas qu’elle se méprenne sur mes intentions. La dernière, anonyme, comme la citation et le tableau. Mais là, on est loin de la culture, l’auteur de ce pamphlet grossier et menaçant ne mérite aucune réponse. Comme disait Coluche « on ne parle pas aux Cons ça les instruit ». Je ne pense pas que ce texte provienne d’un habitant de l’immeuble ,enfin j’espère.
Je suis partagé entre la joie et la déception. La joie car je ne suis pas le seul à être rentré dans ce jeu. Déçu car après trois semaines, j’en suis toujours au même point. Non ! Ce n’est pas vrai. Sur les douze ,après Lucien, j’écartais Mailys et Judith de mes soupçons.
La question restait entière. Qui ? Peut être que l’auteur va cette semaine répondre à ma lettre ?
J’étalais sur ma table tous mes petits papiers, portant le nom de mes voisins. Je me suis mis à les trier, coupable ou non coupable.
J’écartais de prime abord :
Olivier trop souvent absent à cause de son métier
Charles Duchemin, j’avais du mal à l’imaginer tenant un pinceau étalant de la peinture sur une toile.
Eve gentille mais difficile de penser qu’elle ait pu écrire la citation.
Et enfin, Marc ; j’aime bien chaque fois que l’on se rencontre il me tient informé des exploits de l’OGCN, notre relation s’arrête là.
Donc il me reste, Louis, Joseph, Nathalie, Pierre et Jérôme.
J’ai ,pour ma part, une petite idée sur l’auteur, attendons !
L’étau se resserre et J’espère que lundi prochain je puisse crier « Bon sang mais c’est bien sûr » pour plagier un certain commissaire. Je me rends compte que je me suis pris au jeu. J’ai d’ailleurs un peu négligé mon travail. Il va falloir que je me bouge ; sur cette décision, je referme momentanément mon journal.
Lundi 4 Fevrier 2019
Hier dimanche, j’ai trouvé dans ma boite une convocation de Lucien nous invitant à nous retrouver à 17 heures dans le hall. La journée fut longue et les heures n’arrêtaient pas de se traîner sur le cadran de l’horloge. Enfin voilà, il est 16h 50, je n’attends pas, je descends. Un brouhaha de conversation remonte dans la cage d’escalier, j’arrive tout le monde est là. Je fus déshabillé par mille regards, certains réprobateurs certains, comme celui de Maïlys, amicaux. Je compris le pourquoi de ce malaise, le tableau avait disparu ; à sa place, comme pour nous narguer ,deux citations, une de Saint-Exupery, l’autre de Michel Montaigne. La première prônant le conte de fée comme seule vérité, l’autre une affirmation du genre je sais tout donc je détiens la vérité. Je me retirais dans un coin pour observer l’ensemble de mes voisins. Ils s’étaient rassemblés par petits groupes, par affinité ou tout simplement par étage. Les discussions allaient bon train quand Lucien fit son entrée. Il réclama le silence et expliqua le pourquoi de cette convocation inhabituelle :
-
Vous n’êtes pas sans savoir, qu’il se passe de drôles de choses dans notre immeuble ; depuis quatre semaines la présence d’un tableau et la distribution de petits papiers mettent en émoi les habitants de l’immeuble. En tant que concierge, je suis le garant de la tranquillité des résidents. La présence du tableau, aujourd’hui disparu, a été fortement apprécié, il donnait à notre hall une touche chaleureuse. C’est pourquoi j’invite l’auteur ou l’auteure à se faire connaître.
Un silence de courte durée s’établit à la fin du discours de Lucien. De mon coin, j’avais une vue d’ensemble, les réactions ne se firent pas attendre.
- Jérôme et Maïlys persuadés que c’était moi, se tournèrent vers moi en m’invitant du regard à parler.
- Olivier semblait s’amuser par la situation et préférait s’intéresser aux ongles de la belle Eve, qu’elle lui faisait miroiter sous ses yeux.
- Pierre regrettait que cette réunion ne soit pas accompagnée d’un apéro
- Charles Duchemin pris la parole pour « parler pour ne rien dire ». Oui, il affirma que ça ne pouvait être que le travail d’un artiste en regardant dans ma direction.
- Marc était silencieux, il semblait être encore sur le stade. Il faut dire que Nice a gagné hier.
- Joseph s’écria : « Moi vous savez en dehors des façades, je ne sais pas peindre et encore moins écrire de si belles phrases. »
-Nathalie discutait à voix basse avec Louis le retraité, elle lui expliquait que pour elle son monde c’était l’informatique et qu’elle était incapable de peindre.
Louis lui répondit : « Moi je bricole, il m’arrivait de peindre mais depuis que je suis à la retraite, je n’ai plus le temps. »
Judith dans son coin notait sur son carnet, notre histoire allait-elle en faire un livre ?
-Interpellé par Lucien, j’avouais que j’aurais aimé être l’auteur du tableau mais que j’étais désolé, ce n’était pas moi.
Alors qui ? Lucien s’improvisa en capitaine de vaisseau, presque en criant il dit :
« On ne peut continuer comme ça, a se retrouver tous les lundis sur le qui vive. Nous avons besoin de savoir. »
Un grand silence s’installa et c’est alors qu’une toute petite voix chuchota timidement.
« C’est MOI ! »
Tout le monde se retourna, elle était là !
Elle, Lucie la femme effacée de Jérôme, elle que l’on entendait jamais, elle qui s’excusait quand on la rencontrait dans les escaliers Dans ses bras le tableau, comme pour affirmer sa signature, était la preuve de sa vérité.
-
Jérôme poussa un cri : « Comment toi, tu ne sais pas peindre, tu ne lis jamais comment peux-tu dire que c’est toi ? »
Alors doucement elle expliqua, ses cours particuliers au Black Box, ses études littéraires interrompues lors de son mariage. Enfin, cette frustration accumulée pendant tant d’années. Et cette envie un peu folle, mélange du rêve et de l’affirmation de soi d’où mes dernières citations de vouloir exister, d’être reconnue, de ne plus être simplement la femme de Jérôme. Elle se tut.
Le silence était devenu ,si épais que l’on aurait pu le découper au couteau.
Puis ce fut un tonnerre d’applaudissements, pour celle qui nous avait entraîné dans cette aventure.
Le tableau fut remis en place et Jérôme fier, déclarait à tous : « Je suis le mari de Lucie. »
L’assemblée, à l’unanimité, décida que Lucie serait la décoratrice de notre hall et qu’elle pourrait changer à sa convenance le tableau.
Un apéritif fut improvisé pour fêter cet événement.
En regardant tout mes voisins, je me surpris à penser qu’il était drôle et triste à la fois de vivre à côté des gens pendant des années, sans les connaître, et qu’il suffit d’un rien, trois petites touches de couleurs pour changer notre vie.