OLIVIER

Publié le 14 Janvier 2019

7 Janvier 2019

Olivier rentrait chez lui après avoir passé ce que l’on appelle « les Fêtes » loin d’ici. Plus de famille, des amis dans le monde entier et une sainte horreur de la fin de l’année ; trois bonnes raisons pour être parti ces trois dernières semaines. Passé le hall de l’immeuble, il ouvrit sa boîte aux lettres. Quelle pile ! Il ramassa le tout sans y jeter un œil et monta les deux étages à pied. Après six longues heures d’avion, un peu d’exercice lui ferait du bien, pensait-il. Il rêvait d’une longue douche chaude, suivie d’un grand moment dans sa pièce insonorisée où il pouvait s’adonner à sa passion : la musique.

 

Il jeta son énorme sac dans un coin de l’entrée, posa ses clefs et le courrier sur le comptoir de la cuisine et ouvrit les volets et les fenêtres. Après avoir arrosé les plantes, qui, la tête basse, pleuraient de soif, il se dirigea vers la salle de bains. L’au chaude délassait son cou et ses épaules malmenés dans l’avion. Il gérerait le problème du décalage horaire plus tard…

En enfilant un jogging, il se demandait s’il allait commencer par un morceau de piano, lent et romantique, ou bien s’il allait se défouler à la batterie.

 

Il repassa à la cuisine pour se servir un verre. Le courant d’air venant de la fenêtre ouverte avait fait voler par terre deux papiers qui faisaient partie de la pile de courrier dispersée sur le comptoir. Il les ramassa. De la pub ? Oui. Il y avait là encore un papillon -ce n’était pas le premier- de « Mamadou qui guérit tout », des brûlures d’estomac aux blessures du cœur… Il peut même faire revenir ta femme ! Si ! Si ! C’était marqué ! Olivier esquissa un sourire. Assez moqueur et plein d’humour, il se disait qu’un jour il faudrait qu’il l’appelle…

 

L’autre papillon était moins explicite. Il était signé « Delacroix »… et beaucoup moins drôle que celui de Mamadou. Il parlait de reflet, de modelage et de transparence. Ouh là là ! C’est un message codé ?

Il reposa les papillons sur la table, ferma la fenêtre et après s’être servi une bière, il partit dans sa salle de musique. A peine la porte refermée, il n’y pensait déjà plus.

14 Janvier 2019

Olivier se préparait tranquillement ce matin. Il partait « en rotation » pour une semaine. Toujours méthodique pour finaliser sa mini-valise, il avalait entre deux allers-retours chambre-salle de bains-cuisine quelques bonnes gorgées d’un excellent café rapporté du Costa Rica. Il pensait en même temps à ce morceau qu’il avait commencé à composer hier soir au piano. Des idées lui venaient, mais elles seraient posées plus tard… Il claqua la porte d’entrée de son appartement, et descendit les deux étages à pied. En traversant le hall de l’immeuble il aperçut un tableau –aquarelle ?- qui trônait sur un pan de mur. Ah ! Un peu de déco sur ces murs gris horribles, c’est sympa, se dit-il.

A ce moment-même, Lucien, toujours un peu renfrogné, redescendait des étages avec son seau et sa serpillière.

- Je ne sais pas qui a eu cette idée, mais c’est assez sympa ce tableau, dit Olivier à Lucien.

- Ah, ne m’en parlez pas, depuis ce matin j’ai des réflexions et sachez bien que ce n’est pas moi qui l’ai installé, j’ai bien assez à faire !

- Et bien c’est une bonne idée quand même.

- Oui, mais avec ce papillon que tout le monde a trouvé dans sa boîte aux lettres lundi dernier, ça fait quand même deux énigmes coup sur coup et ça fait parler. Et c’est quoi la prochaine étape ?

- Oh, c’est peut-être tout simplement ce jeune du dernier qui se trimballe toujours avec ses cartons à dessin, ses toiles et plein de drôles d’objets, du bois flotté, des morceaux de ferraille… Vous savez, ces « artistes » en herbe, ils sont tous un peu dérangés. Allez donc à la Villa Arson, vous verrez leurs œuvres… Moi je trouve que ce tableau est assez chouette. Un peu mystérieux, mais pas laid du tout. Ça va faire parler je crois !

- Je confirme, grommela Lucien.

- Et moi je confirme que c’est une bonne idée, qui que ce soit qui l’ait mis ce tableau. Je préfère voir ça quand je traverse le hall plutôt qu’un poster de l’équipe de France de foot avec les scores des matches du dernier Mondial, comme nous l’avait imposé le footeux du premier l’année dernière. Pas vous ?

- Bof ! Mais de toutes façons, je ne peux pas laisser faire ça, il faut que je l’enlève ce tableau, comme j’avais enlevé le poster l’an passé. Si je laisse faire tout le monde, on risque d’avoir de « belles » surprises. Et puis je vais devoir appeler le syndic avant que M. Duchemin le fasse. Celui-là c’est un râleur professionnel.

- Eh ! Mais c’est peut être bien lui qui l’a posé ce tableau, obsédé qu’il est par la déforestation et les incendies de forêt. Vous y avez pensé ? Regardez, on dirait une forêt, enfin, ce qu’il en reste… Pensez-y Lucien, pensez-y ! Bon, sur ce, je dois vous laisser, j’ai la ville à traverser pour me rendre à l’aéroport et je ne suis pas en avance. Allez, vous me raconterez tout ça la semaine prochaine quand je serai de retour.

 

Dans le tram qui le menait à l’aéroport, Olivier passait en revue les occupants des 11 appartements, intrigué par cette initiative. Néanmoins, il appréciait la sensibilité du tableau. Et si c’était Maïlis, la jeune fleuriste ? Et pourquoi pas le retraité qui venait de s’installer au dernier et dont il n’avait pas retenu le nom ?

 

21 janvier 2019

Arrivé à l’aéroport, Olivier s’enregistra pour son vol Nice-Paris, où il devrait ensuite commencer sa petite semaine de rotations : Nice-Hanoï, escale à Dubaï, repos, retour sur Bali, repos, puis Bali-Paris avec escale à Hong Kong. Beaucoup de boulot sur des longs courriers comme ça, mais il aimait cette vie.

Pour le moment, il était dans le Nice-Paris et repensait à sa « copro ». Mentalement, il se disait qu’il allait écrire un mot aux deux personnes qui lui semblaient le plus à même d’avoir mis un peu d’effervescence dans cet immeuble somme toute assez triste.

Il pensait notamment à Maïlys, la jeune fleuriste, et puis, oui, il allait lui écrire, au moins cela ferait une occasion de rentrer en contact avec elle… Bref, autre chose qu’un « bonjour » dans l’escalier lorsqu’il la croisait (trop peu souvent pensait-il). Il sortit sa tablette et commença le brouillon de ce qu’il allait recopier pour lui mettre dans sa boîte aux lettres en rentrant.

 

« Bonjour ! (ça au moins ça ne mange pas de pain et c’est toujours bien de dire simplement « bonjour »).

Je suis Olivier, votre voisin du deuxième étage, souvent absent mais néanmoins sensible à ce qui se passe dans l’immeuble depuis maintenant deux semaines.

Si je vous écris aujourd’hui c’est simplement parce que je vous sens à même d’avoir pu déposer ces messages dans nos boîtes aux lettres, et par là même d’avoir également orné le hall tristounet de notre « home » avec ce tableau mystérieux mais que je trouve empreint d’une grande sensibilité. Une fleuriste se doit d’aimer la nature et je vous imagine mettre dans vos compositions florales une part de fantaisie, de mystère et d’ingéniosité (cf. texte de Delacroix). Je n’arrive pas pourtant à deviner ce qui peut vous avoir poussée (s’il s’agit de vous) à ces actes surprenants au sein de notre copropriété. Un besoin d’éveiller la curiosité de chacun d’entre nous ? De réveiller notre attention en bousculant notre train-train au cours de la traversée du hall ? En tous cas je pense que cela va sûrement réunir quelques-uns d’entre nous avec les mêmes interrogations et suppositions. Doit-on s’attendre à une troisième « manifestation » ? Pour ma part je trouve ces évènements bien plaisants, même s’ils restent quelque peu mystérieux à mes yeux.

Il y a certes des « artistes » dans notre petite communauté, mais je ne penche pas pour que l’auteur de ces faits se trouve parmi eux. Je vais plutôt dans le sens d’un acte discret, portant sûrement un message que j’avoue ne pas encore capter.

Je compte sur votre réponse pour éclairer mes pensées. »

 

Olivier

 

Lettre de Maïlys à Olivier le lundi 28 janvier

 

Bonjour Olivier,

 

J’ai été moi aussi surprise de recevoir il y a maintenant trois semaines ce petit message mystérieux signé Delacroix. Et plus encore de voir il y a 15 jours ce tableau accroché dans le hall.

Je suis sensible au fait que vous ayez pensé à moi et à ma sensibilité pour pouvoir imaginer que je sois impliquée dans cette distribution et surtout que je puisse être l’artiste ayant peint ce tableau qui semble intriguer l’ensemble de nos voisins.

Ce n’est pourtant pas moi, je vous le confirme. J’aime bien trop les plantes, fleurs et autres végétaux en général pour être à même de peindre des arbres morts, calcinés me semble-t-il par un incendie de forêt.

J’ai moi-même reçu ce matin quelques missives, dont deux adressées à l’ensemble des résidants. Etant signées de Stéphane et de Judith, on pourrait sans doute en déduire qu’il ne s’agit pas d’eux, quoique le dicton « prêcher le faux pour savoir le vrai » pourrait s’appliquer aussi.

J’avoue que je suis un peu perdue dans mes suppositions. J’aurais même tendance à soupçonner le nouvel arrivant, ce bon vieux Louis, fraîchement retraité. Au cours de son déménagement, j’ai remarqué qu’il avait bien du mal à faire passer par la porte de son appartement ce qui pourrait être aisément identifié comme une toile, emballée de papier bulle, mais je n’ai malheureusement pas pu voir quoi que ce soit de plus.

Ceci dit, il y a d’autres artistes parmi nos chers voisins, comme vous l’avez dit aussi. Je pense bien sûr à Stéphane qui ne saurait être innocenté par la missive qu’il a envoyée à tout le monde.

Mais je pense aussi à Pierre, plus discret, mais néanmoins capable d’un coup d’éclat pareil au terme d’une de ses nombreuses et répétées beuveries…

Quant à savoir si on aura le fin mot de ce qui est en train de devenir une « histoire », je ne sais pas trop quoi en penser.

Je pense par contre que l’on peut éliminer notre gardien Lucien des auteurs possibles, tant sa fainéantise le lave de tout soupçon ; premièrement d’avoir pris le temps de distribuer dans chaque boîte le message « Delacroix » et deuxièmement d’avoir pu faire de ses propres mains un tel tableau.

Je sais Olivier que votre travail vous amène à vous absenter très souvent, mais je vous donne rendez-vous dans le hall lundi prochain à 17 heures. C’est un endroit « neutre » et pour une fois ça ne donnera pas l’occasion à Lucien de rapporter quelques ragots dont il est friand. J’espère vous y voir et dans la négative, j’espère avoir l’occasion de passer un moment à discuter de manière informelle et sympathique « entre voisins’ ».

 

Bien à vous,

 

Maïlys

Lettre d’Olivier à Maïlys, le 3 février

 

Bonjour Maïlys,

 

Merci pour votre réponse. Je rentre à peine de quelques jours de « travail » au Moyen-Orient et j’ai découvert, en même temps que votre lettre, non seulement les deux « circulaires » dont vous m’avez parlé, signées de Stéphane et de Judith, mais également une lettre anonyme que je soupçonne fort avoir été écrite par Pierre.

Ce petit message est assez désagréable, mais il confirme en tout cas une chose que vous avez mentionnée, c’est-à-dire son amour pour la boisson… Par contre, s’il est vrai que j’ai partagé une ou deux fois quelques parties de pêche ave lui, je pense qu’il a pété un plomb car si son ton est menaçant, je ne pense pas être le vrai destinataire de cette lettre. Il aurait confié à je ne sais pas qui, je cite « au bout d’une nuit alcoolisée, le récit de mes exploits, mon grand œuvre, ma fierté… »

Pauvre mec, s’il va bien à la pêche avec moi, ce n’est pas avec moi qu’il passe ses nuits à boire. C’est comique et triste à la fois et je ne sais pas trop quoi en penser…

Néanmoins je serai demain soir à 17 heures dans le hall de l’immeuble et je vous attendrai impatiemment.

 

Bonne soirée,

 

Olivier

 

Olivier plaqua les deux derniers accords sur son piano, puis il se leva, passa à la cuisine se préparer un café. Tout en le buvant, il enfila ses chaussures pour descendre dans le hall. Depuis hier, il pensait à toute cette histoire et surtout à Maïlys… Ma foi, qui que ce soit, finalement ces petits mots, ce tableau, ces courriers, auront mis un peu d’animation dans l’immeuble. Au moins une occasion de faire peut-être un peu mieux connaissance avec les uns et les autres. Il claqua la porte de son appartement au même moment que sa voisine de palier, la jeune esthéticienne. Après un bref salut, Olivier souriait intérieurement. De la pub ambulante pour son cabinet d’esthétique, voilà ce qu’elle représentait pour lui. Maquillée à outrance, parfumée un peu trop que la normale, elle avançait à petits pas rapides… enfin, aussi rapidement que le lui permettaient ses talons… Dans sa tête, Olivier l’innocentait elle aussi, la pensant bien incapable de peindre autre chose que ses ongles et ses joues, mais pour beaucoup toutes ces petites choses sont importantes, alors il faut les respecter.

Il attaqua les marches et en quelques minutes se retrouva dans le hall. Il n’était pas tout seul ! Une autre surprise l’attendait, le tableau avait disparu et en s’avançant, il remarqua deux petites notes affichées à la place : la première : « On sait bien que les contes de fées c’est la seule vérité de la vie » Antoine de Saint Exupéry ; et une autre : « Je donne mon avis non comme bon mais comme mien » Michel Montaigne.

Perplexe, Olivier se retourna vers les autres. Une devinette de plus. Mais là il n’en était plus à essayer de deviner qui avait épinglé ces citations sur le mur mais pourquoi ? Maïlys l’avait rejoint et il voyait que, comme lui, elle s’interrogeait sur le rapport de ces phrases avec les évènements passés.

« On est loin du –dessine moi un mouton- hein ? » lança-t-il à Maïlys. « Après le conte philosophique, on parle maintenant de conte de fées mais personnellement toutes ces histoires ne me font pas vraiment rêver »…

A moins que l’auteur de cet affichage ait voulu tout simplement faire travailler l’imagination de chacun, le temps de ces quelques épisodes. Pourquoi pas après tout ? La démarche serait louable par les temps qui courent, d’avoir trouvé un moyen de rassembler quelques personnes, de les faire se poser des questions, de rencontrer ses voisins, bref, de partager tout simplement quelques moments agrémentés de questionnements. Mieux, bien mieux qu’une fête des voisins.

Il observait le résultat autour de lui. Les langues allaient bon train, dans une ambiance bon enfant où la suspicion semblait avoir disparu. Sans vraiment les écouter, il lui semblait que comme lui, toutes ces personnes appréciaient ce petit rassemblement né pour tirer les choses au clair, mais au final personne ne semblait vraiment soucieux de savoir qui était l’auteur -ou les auteurs, pourquoi pas- de ces distributions et autres affichages pirates, et c’était bien ainsi.

La deuxième citation le confortait dans son raisonnement. C’est tout simple finalement, chacun a le droit de s’exprimer, tant qu’il ne revendique pas le savoir ou la connaissance absolue.

En fin de compte, il appréciait beaucoup ce moment où la parole était ramenée à un moyen d’échanges simples et où pendant quelque temps, chacun oublierait ses rancœurs et ses revendications.

Olivier sortit son stylo de sa poche, et sous le nom de Montaigne, il ajouta « Merci ! ».

 

Rédigé par Bernadette

Publié dans #Ecriture collective

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