LOUIS

Publié le 21 Janvier 2019

Nouveau dans cet immeuble du quartier Bon Voyage où je viens de poser mes valises, je ne sais pas encore où je mets les pieds. Je prends mon courrier en rentrant, la boîte à lettres, engorgée, vomit un vrac de prospectus que je me promets de jeter dans son container approprié. J'espère les résidents pas trop constipés, car n'étant pas du genre à sauter au cou de n'importe qui, l'approche avec les autres risque d'être difficile. La première personne rencontrée m'a dit se nommer Pierre et être artiste-peintre. Il a bougonné une tirade à laquelle je n'ai rien compris. Il ne m'a pas paru très clair. J'ai profité de l'arrivée d'un certain Marc pour les saluer et me défiler, mon but en cette fin d'après-midi étant d'aller faire connaissance avec le Leclerc d'à-côté. Plus tard dans la soirée, après une collation prise devant la télé, j'ai trié mon courrier. Paperasse, paperasse, une convocation pour une réunion de copropriété pour le lundi 4 février à 18 h dans une salle attenante à l'église située juste en face de notre immeuble. Essayant de se faire oublier, un petit papier rectangulaire d'aspect inintéressant que je m'apprêtais à mettre à la poubelle m'a interpellé lorsque j'ai vu la signature « Delacroix ». Ma première idée fut que le curé de la paroisse d'en face se faisait une petite publicité. Après avoir lu le texte, je me traitais d'imbécile, en chuchotant, pour ne pas trop m'accabler. Delacroix, le peintre bien sûr. Perplexe, je suis perplexe. Cette citation reflète mon état d'esprit de ce matin au lever du jour. En effet, juste avant l'aube, une légère brume de densité fluctuante stagnait sur la colline alentour de l'Observatoire. De plus, les réverbères aux halos blafards semblaient être des bougies posées là, au hasard. Puis, dans la clarté mouvementée d'après l'aube, quelques vagues d'étourneaux aux arabesques indéfinies zébraient le ciel hésitant entre pluie et beau temps. En rentrant, après une promenade matinale, face à moi, dans le hall, un tableau, que je découvre. Y était-il, ou a t-il été accroché dans la nuit ??? Ce tableau a-t-il un rapport avec la citation de la semaine passée ? C'est possible ! Ces arbres décharnées auraient pu avoir leurs places dans un espace invisible de ma fenêtre. Je suis venu dans cet immeuble pour y passer des jours tranquilles, et déjà je me casse la tête. Je ne suis pas obligé de m'y intéresser, mais, le mal est fait, il germe, il chemine, il va le diable, puis tout à coup, ne sais comment, je suis pris au piège. Retraité depuis plusieurs mois de la PJ, je suis obligé de reconnaître que la course à la résolution d'une enquête me manquait. Il faut que je me fasse copain avec le concierge. Je vais traîner dans les parties communes.

Mardi 22 janvier

 

Après une nuit d'un sommeil réparateur, une petite idée me fait jour au moment où la lune s'éclipse pour laisser la lumière m'envelopper. Je jubile, car après une forte grippe qui m'avait laissé pâle comme un cachet d'aspirine, un ami m'avait dit : faute à ton teint blême, tu ne pourras plus réfléchir. Il avait tout faux, car depuis ce matin je pantaille. Inspecteur retraité de la PJ, si je ne réfléchissais plus, je serais comme un horticulteur sans pensées. Pour un flic, penser, réfléchir et inventorier sont les trois pis à ne pas lâcher. Dans mon collimateur, je vois trois personnes : PIERRE, qui a pu peindre le tableau ; JOSEPH habitué à travailler dans le bâtiment ; LUCIEN qui a dégagé l'entrée de l'immeuble, le temps de fixer une cheville et un piton. Sans attendre, je vais écrire ces trois lettres.

 

LOUIS, locataire du 3è étage

 

Monsieur Pierre

 

Suite à la citation que tous les résidents ont trouvée dans leur boîte aux lettres et le tableau qui agrémente joliment l'entrée de l'immeuble, je suppute que vous pouvez en être l'auteur. L'auteur du tableau, mais avec deux comparses car, comment une seule personne aurait pu l'accrocher incognito. Je pense que JOSEPH, travailleur dans le bâtiment doit être apte à poser une cheville et un piton en un temps record. Puis LUCIEN le concierge a guetté pour qu'aucune personne ne passe à ce moment-là.

J'écris la même lettre aux deux autres « suspects ». Si vous voulez en parler, je vous invite à boire un verre chez moi.

 

PS : Je m'intéresse à ces faits comme à un jeu, et cela me permettra la rencontre avec d'autres résidents.

Louis

 

Sur ce, je descends les trois étages par l'escalier, je dépose les trois lettres dans les boîtes correspondantes. Je sors un moment pour faire deux pas sur le parvis de l'immeuble. J'hésite à rentrer car Lucien passe la serpillière sur le marbre du hall. Fataliste, il me fait signe d’entrer. Je m'approche de lui pour le saluer et m'excuser. Un chien qui s'est faufilé derrière moi, dérape sur le sol mouillé, vient s'entraver dans mes pieds, me fait chuter... Fracture du col du fémur. Ambulance, hôpital, je réintègre mon appartement le samedi matin accompagné d'un déambulateur. Lucien, pourvu d'un troisième sens, m'attend tout en bavardant avec Joseph. Il se propose gentiment de me faire quelques courses, le temps pour moi de retrouver mon indépendance. Ils sont d'accord pour me rejoindre chez moi dans la soirée pour m'informer de l'évolution de l'affaire. J 'invite également Pierre.

J'invite également Pierre. Nous nous retrouvons vers 19 h chez moi. La glace est vite rompue, les glaçons aussi dans les verres. Vers 20h, Nathalie entendant un certain brouhaha vint sonner à ma porte (inquiète, dit-elle), curieuse de cette ambiance inhabituelle. Il reste un fond de cognac (je bois français) dans la bouteille que je lui offre en lui proposant de s'asseoir. Elle dégote un tabouret dans la cuisine, boit son demi verre cul sec et se trouve illico à l'unisson. La soirée est plus que joyeuse, je vois bien que les gosiers s'assèchent. Penaud, je leurs dis que ma cave manque de liquide, car toujours bloqué chez moi, je n'ai pu m'approvisionner. En habitué à boire, je ne m'aperçois pas qu'un de mes invités, qui s'était défilé, revient avec une bouteille. C'est reparti pour une nouvelle rasade. Chacun raconte sa blague, de moins en moins correcte, et c'est Nathalie qui, la première, nous en sort une à faire rougir un chinois. Une histoire de striptease tout en commençant à se déloquer. Stéphane, locataire au bout du couloir, vient sonner à ma porte, intrigué de ce remue-ménage. Il entre au moment où Nathalie allait dévoiler son corps sage. Je veux dire : dégrafer son corsage ; «éméchée » en le voyant, elle lui tombe dans les bras. Stéphane ne perd pas son sang froid, il la retient, la serre, l'étreint. Ils s'enlacent, prennent conscience de notre présence, penauds, et nous partons tous dans une grande rigolade. Il est minuit passé, Stéphane accepte un verre, fait remarquer qu'il est tard. Sur le point de se séparer, je remercie mes voisins pour l'agréable soirée que nous avons passée, nous avons discuté d'un tas de sujets, sauf celui pour lequel nous nous sommes réunis. Dans le tumulte du départ une voix annonce : rendez-vous samedi soir chez moi. Je les regarde partir, ils se séparent, sauf peut être Stéphane et Nathalie. Mais ça, ça ne nous regarde pas !

Rédigé par Louis

Publié dans #Ecriture collective

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