L’HOMME QUI MARCHAIT À GRANDS PAS

Publié le 1 Novembre 2018

L’homme marchait à grand pas, comme s’il avait peur d’arriver en retard à je ne sais quelle réunion. Il semblait à la recherche d’un instant oublié, d’une minute, d’une seconde écoulée, d’une pièce du puzzle de sa vie. Le temps, pas celui qui défile dans le sablier, était orageux et donnait à toutes choses cette couleur monochrome en gris.

Un feu tricolore rouge vif l’obligea à lever la tête, il marqua un arrêt, étonné de se retrouver à cet endroit.

Il ne reconnaissait pas son environnement. Les immeubles étaient éclairés d’une lumière jaunâtre diffusée par de vieux candélabres en fonte, signature d’un temps révolu. Pourtant, il lui semblait reconnaître quelques images et des senteurs associées. Comme une madeleine de Proust, tout lui était à cet instant familier et pourtant quelque chose le chagrinait.

 

Le feu passa au vert, il reprit sa marche avec moins de précipitation ; ses pas collaient au goudron du trottoir. Que se passait-il dans le quartier ? Avait-il changé pendant son absence ? Était-il tombé à l’intérieur d’un film de sorcellerie où le personnage se noie dans la gélatine de la pellicule à peine développée ?

Où était passé sa maison et le jardin où, enfant, il avait appris à respirer le parfum délicat des roses, à découvrir le monde ?

Le monde de l’enfance, celui où tout est permis, celui où se taper sur les fesses vous fait courir plus vite pour rattraper les animaux imaginaires qui se cachent dans les nuages. Ce monde fait de mots magiques inventés par les grands où Marry Poppins joue avec Harry Potter. Combien de fois a-t-il répété :

« Supercalifragilisticexpialidocious! » tout en claquant des doigts pour ranger sa chambre. Bien sûr, maman passait derrière, mais lui, Il y croyait, le monde lui appartenait.

Aujourd’hui l’enfance avait fait place aux temps des cheveux blancs. Ce temps qui conjugue au présent, qui raisonne et qui fait disparaître l’imaginaire de l’enfant.

 

Un klaxon le sortit de sa torpeur ; il était là, au milieu d’une place ; que faisait-il là ? Un vent de panique l’enveloppa, il se surprit à crier : Maman !

Autour de lui le jardin de son enfance avait fait place à une tour de verre et d’acier. Le gazon avait pris la couleur du béton où quelques fleurs essayaient de reprendre leur droit. Le monde était devenu fou, le gris de l’asphalte dominait les couleurs pastel de la vie. Dans les cours d’eau, le plastique flottait, les poissons étouffaient, l’air se chargeait de gaz carbonique pour atteindre des seuils de pollution, la glace du pôle fondait comme dans un verre de pastis.

 

L’homme marchait à petits pas et il soufflait, et il ne reconnaissait pas ce monde, son monde ; il était perdu dans sa ville, dans son quartier. Une main tendue lui dit : viens, je connais ton chemin, je connais ton histoire, je sais qui tu es. N’aie pas peur, je te connais, Alzheimer est ton nom.


 

Rédigé par Bernard

Publié dans #Écologie et environnement

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