L’ESPRIT DE LA FORET

Publié le 11 Septembre 2018

Manu, torse nu, termine sa brève toilette. Il dirige une équipe de « Lenador-Campesinos », ces bûcherons qui saccagent sans état d’âme la forêt amazonienne.

Serviette sur l’épaule, il embarque sa tronçonneuse dans son 4/4 et, avec ses hommes, se dirige vers le point d’abattage qu’on lui a attribué.

L’aube n’est pas encore levée. Il fait déjà chaud, très chaud. Ici nous sommes près de l’équateur. Tous les hommes commencent le travail tôt.

Le campement, lui, est à l’abri sous cette énorme canopée préservée pour leur bien-être relatif.

 

Il traverse une zone récemment déboisée, lunaire, ravinée.

Son 4/4, tangue, manque de se renverser, glisse sur la boue que plus rien ne retient, se met en travers de la piste.

Manu râle. Il peste contre ce travail. De toute façon, cette piste restera dans cet état pendant des années. Les subventions iront à la capitale et serviront à créer une vrai route avec pentes en travers, caniveaux de récupération des eaux de pluies, macadam parfait. Tout cela pour combien de kilomètres ? Quatre, six ? Peut-être plus ? Après tout ce n’est pas son affaire. Lui il doit couper !

 

Il est arrivé. L’équipe s’installe face à un immense palétuvier, affûte les lames des tronçonneuses.

Entre les racines aériennes, un gamin nu, assis, le regarde sans dire un mot.

Manu se sent mal à l’aise. Il l’a reconnu. C’est un Awa. Ces tribus chasseurs-cueilleurs qui s’opposent à tout abattage.

-Pousse-toi petit, ce n’est pas ta place !

-Tu vas couper Bibo ?

-Quoi ?

-Tu sais, Bibo c’est mon ami. Il nous fait de l’ombre lorsque le soleil est dur, nous protège de la pluie quand le ciel se déverse sur nous, et mon papa nous ramène du miel sauvage dans les trous que tu vois là-haut !

Manu le regarde avec des yeux ronds.

Qu’est ce qu’il s’en fout du miel de ce gamin.

Il enclenche le moteur de sa tronçonneuse. Le vrombissement déchire le silence ambiant.

Le petit ne bouge pas et lève une main. Manu arrête le vacarme.

-Quoi encore ?

-Tu sais Bibo, il a de grands pouvoirs, c’est l’esprit de la forêt. Tu as tort de faire ça, il peut se venger.

-N’importe quoi ! Il m’agace ce gamin. Allez pousse-toi !

Manu donne l’ordre d’abattage. Le petit se lève et s’enfonce à petits pas dans les taillis.

Les tronçonneuses se déchaînent.

Le palétuvier tremble, s’incline et ne tarde pas à s’abattre avec fracas. Il glisse, pivote, ripe du pied et … s’écrase sur le 4/4.

 

Manu n’en croit pas ses yeux.

-Vous avez vu ? Il a ripé du pied, comme si… Et s’il avait raison ce petit ?

Il le cherche du regard. Au bout du sentier, les feuillages oscillent, cachent l’horizon, le passage s’est refermé.

Manu en avait lu des ouvrages sur les alarmes que se communiqueraient les arbres de l’un à l’autre lorsqu’ils se sentaient agressés. L’aide des arbres plus sains à ceux plus fragiles par les ramifications souterraines.

Foutaise tout cela !

Mais répondre au coup par un autre coup comme il vient de voir, œil pour œil en somme, ça alors !

 

La poussière de bois retombe en pluie fine sur un drôle de silence.

 

Rédigé par Gérald

Publié dans #Écologie et environnement

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