Un jour, demain, jamais… de suite !
Publié le 18 Juin 2018
Un jour, demain, jamais… de suite !
Mes chéris à table. Levez vos fesses de vos fauteuils.
Les chaises de ma cuisine vous attendent…
Elles font quatre pieds de grue comme votre Maman adorée qui en fait deux.
Mes chéris dépêchez-vous votre plat préféré va refroidir.
Mes chéris je vous ai concocté votre dîner favori, de bonnes tripes de lapin farcies.
René, tu peux interrompre ta leçon d’anglais et éteindre ton ordinateur. Dépêche-toi.
Hubert, mon amour, éteins ta télé, tu as déjà regardé la météo il y a un quart d’heure. Même le cul de la speakerine n’a pas changé en si peu de temps.
Toby veux-tu ne pas rester sous la table, courre vite à ta panière.
Quand je pense que le bel Armand voulait m’emmener dîner dans ce petit bistrot si parisien, si près de chez lui. Manger des raviolis, boire du rosé de Provence. On dit qu’il n’y en a plus, mais Armand… Il avait même imité l’écriture de ma mère, une lettre pleine d’émotion, Maman m’appelait auprès d’elle pour son avant dernier soupir. Avant dernier, faut pas assécher l’oued. Hubert aurait gobé, la lettre et l’hameçon avec, il gobe tout ce con. D’ailleurs il a la vigueur sexuelle d’un thon qui aurait traversé deux fois l’Atlantique à contre-courant. Franchement qu’est-ce que je fais là ? Ah oui, les liens sacrés du mariage, pour le meilleur et pour le pire. Il l’a dit Monsieur le curé et dans l’ordre. Le meilleur c’est fait, le pire je le vis. Merci petit Jésus.
Ils me fatiguent, me fatiguent, ras le bol, je vais renverser cette putain de table, un jour, demain, jamais, de suite. Blang !
*
Oui Maman, une minute !
Elle le fait exprès j’en suis sûr. Toujours, à chaque fois, elle attend le moment où je vais marquer des points, l’instant où Ninja a repéré le bad boy, va enfin le tuer…
« A table mes chéris ! » Ça ne peut pas être dû au hasard, trop gourde ma génitrice. Et pour manger quoi ? Des tripes de lapin farcies. Plein l’intestin des tripes de lapin farcies, quatorze ans que j’en mange des tripes de lapin farcies. Elle devait déjà en mettre dans mon biberon. Je subodore que le jour de son mariage, sa mère lui a donné une feuille au format A4 imprimée recto seulement « La cuisine pour les très très nulles » Une seule recette à apprendre par cœur. Et l’autre vieux déchet affalé dans son fauteuil à boire de l’alcool et mater des meufs qu’il n’aura jamais. Tu crois qu’il dirait quelque chose, qu’il oserait un mouvement de révolte ? Même pas « Oui mon bébé » « Bien sûr ma puce » pauvre mec, rien dans la culotte, si c’était moi elle en entendrait la vioque. Maurice, lui, sa mère, elle lui dépose un pan bagnat près de son ordi, il peut jouer autant qu’il veut. D’accord il n’est pas le premier de la classe mais à Ninja il fait les meilleurs scores. Personne ne peut le battre, trop fort le cum.
Oui Maman j’arrive !
En fait ici, on m’empêche de vivre ma vie, la vraie vie que je mérite. Impossible de progresser, de devenir une célébrité qui passera à la télé. Ah la tête qu’ils feront, moi je ne les reconnaîtrai pas.
M’évader, je dois fuguer, j’y vais, un jour, demain, jamais, de suite. Bleng !
*
Oui ma puce, deux secondes !
Tiens, il y avait longtemps, pas moyen d’avoir du temps pour moi, me détendre, siroter un whisky tranquille. Encore sur mon dos à exiger, ici, là, vite, cette femme est un tyran. Je vais lui dire moi où elle peut les mettre ses tripes de lapin farcies. Les tripes de lapin farcies, quinze ans que j’en mange, ça suffit, et ni, ni c’est fini. Et puis elle est trop grosse, les ongles noirs, les cheveux sales, les bas qui plissent. Et puis quand on fait l’amour, une fois l’an, pour notre anniversaire de mariage, elle garde les yeux grands ouverts, compte les fissures du plafond, toujours l’air de dire : au lieu de t’agiter bêtement tu ferais mieux de le repeindre. Au moins ton pinceau servirait à quelque chose d’utile. Bien sûr que c’est à ça qu’elle pense. Je le devine depuis le temps.
J’arrive chérie !
Et l’autre petit con toujours entre deux boutons, presser celui d’acné, écraser celui de la console de jeux. Il croit que je ne vois pas son regard prétentieux persuadé qu’il est d’être un génie. Tu n’as pas encore tué le père pauvre crétin.
Le père ? Mais pourquoi ai-je dit oui ? J’étais encore saoul de la veille, ma seule excuse. Putain, aujourd’hui je vivrais auprès de la belle Annie. Je coulerais des jours heureux, dorloté comme un coq en pâte. Douce Annie qui m’aime encore, qui m’attend toujours. Son sms « viens !»
Et puis merde, ils me font suer tous les deux, je pars, un jour, demain, jamais, de suite. Bling !
*
Waf, Waf ! Je ne suis pas beau comme ça ? Tout poisseux, couvert de sauce, les yeux, les oreilles, des tripes de lapin farcies en veux-tu en voilà. Ce n’est pas que ce soit vraiment mauvais mauvais mais j’en ai déjà mangé hier et avant-hier alors ce soir mes croquettes étaient bienvenues mais non encore des tripes de lapin farcies. Sacrée famille, deux de partis, une en pleurs, plus un seul pour me nettoyer. Je vivais heureux, traînais toute la journée avec la bande du quartier. Une poubelle par-ci, un tas d’ordures par-là, quelles rigolades ! Pourquoi m’être laissé adopter ? La promotion sociale peut-être, le plaisir de snober les clodos du bout de la rue sûrement. Quelle désillusion, quelle leçon ! Si je n’ai pas compris, je n’ai rien compris. Je dois retourner avec les miens. Ils puent c’est certain, mais pas les tripes de lapin farcies. Quand ? Un jour, demain, jamais, de suite. Ouah, Ouah !