New York, New York
Publié le 18 Juin 2018
Je suis fatiguée. J’ai mal au ventre. Ma famille autour du lit : mon mari, ma fille, mon fils. J’entends ma fille dire « Maman s’est réveillée ». Mon mari me sourit, se penche vers moi, prend ma main et dit « tu nous as fait une sacrée peur ». Je suis à l’hôpital, c’est évident. Que m’est-il arrivée ? J’hésite à le demander. On devait partir pour New-York. Sommes-nous aux États-Unis ? Non, les enfants ne devaient pas venir, on voulait partir avec des amis. A moins qu’ils ne soient venus d’urgence, vu la gravité de mon état. Mon fils se lève, me dit au revoir, qu’il a un chantier à finir. Tout va bien. Nous sommes en France, mon fils n’a pas de chantier à New York. Il a son comportement habituel, ne pense qu’à son travail. Donc, ce n’est pas trop grave, sinon il se ferait quand même du souci. Au moins je l’espère.
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Ma femme m’a encore sauvé une fois, sans le savoir, bien sûr. Moi qui ai une peur bleue des avions, moi qui ai pu éviter d’en prendre jusqu’à l’âge de 67 ans, alors que je voyage beaucoup, mais toujours en voiture, en train ou en bateau. Cette fois-ci, je ne voyais plus d’échappatoire. Ma femme rêvait d’aller à New York, ça fait des années qu’elle m’en parle. Nos amis m’ont bassiné, tout organisé, comme d’habitude. Vu mes réticences, quelqu’un a dit que j’avais peut-être peur de l’avion. Ça, je ne pouvais pas l’admettre, je ne pouvais pas l’avouer. Je me sentais ridicule, surtout par rapport aux statistiques. Donc, à bout d’arguments, j’ai consenti à ce voyage stupide. Je souris à ma femme qui vient de se réveiller. Bien joué !
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Quand ma mère m’avait appelée pour me dire qu’elle avait atrocement mal au ventre, j’ai pensé qu’elle psycho-somatisait, qu’elle avait peur de l’avion, qu’elle n’osait pas le dire à son mari. Pour moi, son corps, ou son esprit, je ne sais pas, s’inventait une maladie. C’est vrai qu’à 65 ans, elle avait fait beaucoup de voyages, mais aucun en avion. Je n’y avais pas pensé avant, tellement leurs destinations me paraissaient évidentes, conformes à leur façon de voyager. Partir, s’arrêter où ils voulaient, quand ils voulaient, sans contraintes, sans planning préétabli, partant avec les affaires de camping, qui seraient utilisées ou pas, selon les circonstances, la météo, les gens rencontrés, leur humeur du moment. En avion, ce n’est pas possible, on ne peut pas s’arrêter en cours de route. Alors, quand elle m’a appelée, ça m’apparaissait comme une évidence. Ma mère a peur de l’avion. Son ventre se rebellait parce que sa tête s’efforçait à dépasser sa peur.
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Ça y est. C’est fini. Ma mère a été opérée. On lui a enlevé un bout des intestins, nécrosé, disait le chirurgien. Toute à l’heure elle s’est réveillée. Elle va se rétablir vite. C’est quand même une drôle d’histoire. Hier soir, vers dix heures, mon père a sonné chez moi pour me dire qu’il devait amener ma mère à l’hôpital. Elle insiste, elle a très mal, me disait-il. Je pensais qu’on allait certainement lui donner des calmants, vu qu’ils devaient partir pour New York ce matin. Je ne m’inquiétais pas trop, me disant qu’ils seraient certainement de retour avant minuit. En fait, mon père a téléphoné vers deux heures du matin, disant que ma mère devait être opérée dans la matinée, que New York, c’était cuit. Ce matin, on s’est tous retrouvés à l’hôpital, attendant la fin de l’opération, les informations du chirurgien et enfin le réveil. Tout s’est bien passé, le chirurgien nous avait déjà rassurés. Je pense que mon père lui en veut à mort. Lui qui rêvait tellement de ce voyage.
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