Voyage en Orient
Publié le 17 Avril 2018
Le Vietnam. Ça faisait des années que j’avais envie d’y aller. Enfin mon compagnon y consentit. La lecture des prospectus me fit rêver. Ils sont faits pour ça allez-vous me dire. Je cherchais à assimiler les noms étranges des villes, Hue, Dalat, Cau Da, Dô Son, Danang, Hanoi, Phan Thiet, des rivières, celles dont on connaît le nom français, comme le fleuve rouge et le fleuve jaune, la rivière interdite, la rivière des parfums, la rivière de la Queue d’hirondelle, Yan Vi en vietnamien, d’autres dont on ne connaît que le nom vietnamien, comme la rivière Song Lai et la rivière Han. Il y a des endroits magiques à visiter, comme la vallée de l’Amour et le col des Nuages. Rien que les noms nous transporte loin d’ici. Il ne faut pas oublier les baies. Il n’y a pas que la baie d’Halong, même si elle est la plus célèbre. Il y a aussi la baie de Nha Trang et celle des Nuages. Je me suis rappelée² l’histoire récente de ce pays meurtri. Jeune adulte, c’était bien la guerre du Vietnam qui m’avait traumatisée, et avec moi toute une génération. C’est cette guerre-là qui est restée gravée dans mon esprit comme aucune autre. C’est dire à quel point ce voyage comptait pour moi.
Pas coutumiers de grands voyages, nous avions envoyé nos passeports au voyagiste choisi pour les trois visas qu’il nous fallait, acheté des bagages, des chaussures et des vêtements qui nous paraissaient adaptés pour un voyage que nous imaginions assez rustique. Notre premier escale prévu était Bangkok, ensuite trajet en train jusqu’à Ventiane, capital du Laos, pays peu visité à l’époque, c’est-à-dire en 1995, puis avion pour Hôchiminh-ville. Je me voyais déjà dans le train, un train à vapeur, bien sûr. Pour la fin du voyage, nous avions ajouté une semaine de farnienté à Ko Samui. C’est ma sœur qui m’avait parlé de la beauté de cette île.
Trois semaines avant le début du voyage, les valises, en fait des objets hybrides qui s’ouvraient comme des valises mais pouvaient se porter comme des sacs à dos, étaient quasiment faits. Nous étions vaccinés contre les maladies tropicales et disposions d’une réserve de Nivaquine conséquente. Nous connaissions notre trajet par cœur. Les croissants que j’ achetais chaque matin me paraissaient fade, j’avais hâte de déguster au petit déjeuner une bonne soupe vietnamienne, appelé pho dans la langue du pays. Vous voyez que je m’y préparais avec enthousiasme. S’il n’y avait pas eu mon compagnon bien français, attaché à ses croissants, j’aurais commencé le régime soupe toute de suite.
J’étais dans cette disposition, tout mon être, chaque cellule de mon corps attendait ce voyage avec impatience, quand le facteur m’apporta une lettre recommandée de notre voyagiste. Le voyage était annulé, faute d’un nombre suffisant de participants.
Le lendemain nous avons trouvé un autre voyagiste. Le problème, c’était de récupérer nos passeports. Le nouveau voyagiste était bien moins angoissé que nous, il avait l’habitude et tout c’est bien passé.
Nous voilà à Paris où nous avons fait la connaissance des autres membres du groupe avant de monter dans l’avion. Laisser tout derrière moi, oublier le travail et les tracas de la vie quotidienne, me suis-dit, installée confortablement dans l’avion. Non, je ne lis pas Le Monde pourtant gratuit, je ne regarde pas le film américain programmé. J’avais apporté un petit recueil de Poésie vietnamienne, je l’ai sorti, lu un poème par ci, par-là en rêvassant et en imprégnant de ce que je prenais pour l’âme vietnamienne.
Après douze bonnes heures de vol, l’avion s’apprêtait à atterrir à Singapour.
Lumières scintillantes dans le noir, quelle beauté
Un chapelet d’îles, enroulé sur lui-même
Je suis là, Singapour, me voilà me suis-je vantée.
Singapour je t’aime.
A l’aéroport, l’ambiance était hélas moins poétique. C’est un grand supermarché ou tout est moins cher, paraît-il. J’avais commis l’erreur de ne pas apporter de l’argent et dû me contenter du plaisir des yeux.
Après un dernier vol, arrivée à Hôchiminh-Ville, anciennement Saigon. Un guide souriant attendait notre petit groupe de cinq voyageurs. L’atmosphère, les odeurs, les bruits étaient bien différents de ceux de Singapour. L’aventure pouvait commencer.
Le soleil se lève
Les Vietnamiens s’affairent
Rues bien encombrées.
Les Vietnamiens sont des lève-tôt. On nous l’avait annoncé : rendez-vous dans la halle de l’hôtel à six heures du matin pour la visite de la ville. Devant l’hôtel, notre guide ignore notre minibus pour nous diriger vers des cyclo-pousse. Il parlemente quelques minutes avec les conducteurs. Finalement, tout le monde paraît satisfait, la visite peut commencer. Éternellement souriant devant les touristes, nos conducteurs vietnamiens nous saluent avec un hochement de tête et nous aident à nous installer sur les sièges. C’est parti ! Ils pédalent à toute allure, au point de me faire peur.
Peur de l’accident
Hantise d’un carambolage
Manque de confiance.
Nos conducteurs paraissent sûrs d’eux. Ils semblent s’amuser de la tension, de la crispation qu’ils captent en nous. Petit à petit, je me détends, me laisse gagner par l’exotisme de la ville, des bruits, des odeurs. Ville exotique et en même temps familier, avec des grands buildings datant de l’époque coloniale, des motos, des vélos, des hommes rasés de près, habillés d’une chemisette, bien propre, bien repassée. Ils ne transpirent jamais, eux ? Des femmes avec leurs tuniques colorées sur des pantalons de couleur sombre, avec leurs chapeaux de paille en forme de cône.
Tant de choses à voir
Tant de bruits à écouter
Musique de la ville.
Je suis heureuse. Contente d’être là. J’ai bien fait d’insister pour qu’on fasse ce voyage plutôt que de passer, une fois de plus, nos vacances en Bretagne, avec la belle-mère. Une citation d’Orson Wells me vient à l’esprit : « Il faut viser la lune, car même en cas d’échec on atterrit dans les étoiles ».
Oser l’aventure
Ce qui paraissait chimère
Devient réalité.
Je chasse ces idées pour m’imprégner entièrement de ce qui m’entoure. Voici la cathédrale, et la poste à côté. Une halte s’impose. Venant de l’Europe du Sud, la cathédrale ne présente aucun intérêt pour nous. La poste par contre, c’est autre chose. Selon le Bison Futé, la poste de Hôchiminh-Ville est le seul endroit dans tout le Vietnam où on peut acheter des timbres pour l’Europe.
Devoir de touriste
Envoyer des cartes postales
Témoins du voyage.
Il y a aussi les photos, bien sûr. Chahutée sur le cyclo-pousse par les aspérités de la chaussée, elles risquent d’être floues. Vite, vite, des photos de la poste et de la cathédrale avant que nous continuons notre parcours. Les Vietnamiens nous observent, s’amusent de nous, nous font des sourires. Certains veulent être pris en photo avec nous. Je remarque que ce sont surtout les jeunes femmes qui posent avec mon compagnon. La France fait toujours rêver.
Le lendemain, à mon réveil, je lis la citation du jour, elle est de Nicolas Bouvier : « en route, le mieux c’est de se perdre. Lorsqu’on s’égare, les projets font place aux surprises et c’est alors, mais alors seulement, que le voyage commence. »
Pas le temps de méditer sur cette affirmation, nous faisons un voyage organisé réglé comme du papier à musique, aucune chance de se perdre. Justement, à rêvasser ainsi, me voilà en retard. Je cours vers le bus, tout le monde m’attend. Nous partons vers le delta du Mékong. Après avoir roulé pendant une bonne heure, le minibus s’arrête. Déjà arrivé ? Je regarde à droite et à gauche, j’allonge mon cou, me lève, je ne vois pas le fleuve. Wong, le chauffeur, sort une carte, discute avec Kim, notre guide, se gratte la tête. Ils tournent la carte dans tous les sens, discutent encore. Finalement, Kim se retourne, s’adresse à nous pour nous annoncer qu’on était perdu, qu’on n’était pas là ou on aurait dû être et qu’il était impossible de rattraper le bon chemin.
Mais, poursuit-il, Wong connaît très bien la région, il y a de la famille qui exploite un grand jardin où poussent des mangues, des papayes, des fruits de la passion et des litchis. Je pense alors que le chauffeur avait peut-être fait exprès. Comment peut-il se perdre s’il connait si bien la région ? Je pense aussi à la citation que j’avais lu le matin. A nous, l’aventure !
Le jardin des cousins de Wong, quelle merveille. De la verdure partout. Des verts de toute la palette, du clair au foncé, tirant vers le jaune, tirant vers le bleu, multitude de verts, quelle composition. De l’eau qui coule, qui fait des ruisseaux, qui se faufile partout, qui fait une petite musique apaisante. Des senteurs, douces, rafraîchissantes, surprenantes.
Les arbres fruitiers donnent aussi de l’ombre. C’est là qu’on déjeune ? Nos hôtes ont dressé une table pour nous. Je hume le parfum délicieux, subtil qui se dégage des plats qu’ils apportent et qui se mélange harmonieusement avec l’odeur des arbres fruitiers qui nous entourent. Nous dégustons des plats savoureux, exotiques, authentiques, bien meilleur que ceux de l’hôtel. En dessert, les fruits du jardin : mangues, papayes, litchis, quel délice !
Après le thé qui termine le repas, Wong nous propose une escapade en sampan, sorte de bateau à rames, sur le Mékong.
Il est loin ?
Non, juste au bout du jardin.
Nous embarquons sur deux sampans, Wong et Kim se réinventent en sampaniers. Le clapotis du fleuve, les rames qui fendent l’eau. Sinon, le silence. Nous avançons d’une allure régulière, le paysage se déroule devant nos yeux fascinés. Apocalypse Now me vient à l’esprit. Non, on ne va pas se gâcher un moment si agréable, si paisible. Nous passons devant un village flottant. Ses habitants nous font des signes, nous appellent, nous sourient. On répond par des signes joyeux. Ils veulent nous vendre du poisson. Kim leur explique. Wong en prend pour ses cousins. Discussion sur le prix, finalement, le marché est conclu. A l’avantage de qui ? Nous ne le saurons jamais. Le soleil commence à décliner. Nous retrouvons notre minibus, notre hôtel et l’habituel dîner pour touristes. Peut-être la plus belle journée de ce voyage ?