ELLE

Publié le 10 Janvier 2018

 

Elle n'était jamais sortie au delà de la cour de la ferme, seule, sans être accompagnée, le futur de sa vie elle le connaissait, un mari des enfants. Tout depuis sa tendre enfance la préparait pour cette vie comme sa mère et comme l'avait vécue sa grand mère avant. A l'école, à la maison elle apprenait la couture, la cuisine et comment être une bonne épouse, une bonne mère de famille.

 

Elle venait juste d'avoir 16 ans en ce mois d’août 1914. Quand un orage sous les traits d'une déclaration de guerre, vint assombrir sa vie de jeune paysanne. Dans le village, tous les hommes furent mobilisés, ils partirent pour une guerre qui devait être de courte durée, mais elle s'enlisa et il fallut se rendre à l'évidence, pour les travaux des champs il fallait remplacer les hommes.

 

 

Voila comment Melaine se retrouva au milieu du champ de blé qu'il fallait récolter. Une faux sur l'épaule, elle qui n'avait jamais manier autre chose qu'une aiguille à coudre, regardait cette étendue sans savoir par où commencer.

Elle mesura le fossé entre la réalité de la vie et ce que les Bonnes sœurs lui avaient enseigné.

 

Les hommes, par la stupidité de la guerre, venait de lui ouvrir les portes de sa vie. Elle, qui était depuis son enfance formatée pour être une femme soumise, serait à l’avenir indépendante de ses choix.

 

- Si je suis capable de remplacer un homme, se dit-elle, alors je serais son égale !

 

Ce champ de blé devenait le symbole de sa liberté, de sa prise de conscience. Elle venait, dans sa tête, de bousculer, de renverser toute son éducation. Elle ne serait pas l'image de sa mère, elle serait ELLE!

Et le soir dans sa chambre elle rêvait à un monde d'amour et de paix.

 

Pendant ce temps Paul son ami d'enfance jouait au jeu de la vie et de la mort dans la plaine de la Somme. C'est là, dans la boue, les pleurs et la peur qu'il fit la connaissance de Jacques qui comme lui venait du même département, ils étaient pays comme on disait alors. La souffrance rapproche les hommes et entre eux s'établit une amitié profonde. Paul parlait souvent de Melaine à Jacques qui petit à petit apprenait à la connaître.

 

 

Un soir ou l'attaque fit de nombreux morts dans leurs rangs, Jacques dit à Paul:

- Il faut que je te parle!

- Je sais ce que tu vas me dire, mais il faut que je t'avoue quelque chose.

- Quoi? Qui a-t-il ? demanda Paul.

- Je suis comme toi amoureux de Melaine.

Paul , ne dit rien mais une ombre passa dans ses yeux.

- Melaine est mon amie et moi c'est Toi que j'aime.

 

 

 

L'armistice fut signé et les deux amis retournèrent au pays. Pour Jacques l'espoir de rencontrer enfin Melaine. Pour Paul retourner vivre dans ce monde rural en cachant son secret.

 

 

 

Le temps passa, et l'on s'habitua très vite à rencontrer dans les rues du village les trois amis se promenant la main dans la main. Paul, Melaine et Jacques, les trois inséparables comme on les appelait. Melaine avait expliqué à Jacques qu'elle ne voulait pas se marier, qu'entre eux il ne pouvait y avoir que de l'amitié. Paul avait avoué à son amie son penchant pour les hommes.

 

La guerre avait libéré Melaine, fait naître un amour entre deux hommes qui se respectaient. Chacun continua sa vie Jacques, Paul et Melaine restèrent célibataires tout en s'aimant d'amitié.

 

"Quand les hommes vivront d'amour" dira plus tard Félix Leclerc, Melaine Jacques et Paul en étaient les précurseurs.

Un soir Mélaine les invita :

- Venez, leur dit-elle, j'ai eue une idée.

Paul et jacques acceptèrent avec plaisir d'autant que Mélaine était fine cuisinière et qu'elle accompagnait toujours ses plats de bon vin. Les trois amis se retrouvèrent en fin de semaine. Paul et Jacques étaient impatients de connaître l'idée de Melaine. Le repas fut excellent : une dorade sur son lit de pommes de terre et tomates, accompagnée de haricots fins de son jardin et le tout arrosé d'un Pouilly fumé. Ils durent attendre le café pour que Melaine leur dévoile son idée. J'ai pensé que nous pourrions écrire notre histoire, écrire et éditer un livre.

- Comment ça, dirent en cœur Paul et Jacques.

- Oui écrire ce que nous avons vécu, la guerre, notre amitié, notre vie quoi !

Paul dit :

- Tout? tu es sûre que cela va intéresser quelqu'un ?

Et jacques renchérit :

- Tout d'abord, en sommes nous capable?

Melaine balaya en quelques mots les doutes de ses amis.

- Oui, nous sommes la génération du renouveau. Notre témoignage pourra servir à d'autres. Je me suis renseignée auprès d'un éditeur, il serait intéressé par notre histoire, alors au travail !

 

Melaine savait que ses amis ne pourraient pas lui refuser l'aventure de l'écriture.

Ensemble ils décidèrent de se retrouver tous les lundi soir pour écrire et construire ce livre.

Chacun raconta son vécu, apporta des photos et documents pour illustrer leur aventure. Melaine rassembla, corrigea les textes et au bout de trois mois le projet du livre se concrétisa par environ cent soixante pages.

Un soir Paul demanda en riant :

- Quel titre allons nous donner à notre œuvre ?

Cette question souleva une multitude d'interrogations et de réponses.

Finalement ils tombèrent d'accord sur : " Amour, Amitié, Liberté".

Ce titre résumait leur vie, leur passé et leur présent.

Le manuscrit fut envoyé à l'éditeur le lendemain. L'éditeur leur fit quelques remarques sur la forme et non sur le fond. Les trois amis ne s'attendaient pas à recevoir un prix littéraire, mais ils furent surpris du succès en librairie de leur ouvrage. Ce travail d'écriture renforça leur amitié, ils décidèrent de continuer à écrire et créèrent un atelier d'écriture au village. Paul écrivit plusieurs recueils de Poésie. Jacques continua ses récits sur la guerre qui l'avait profondément marqué et Melaine fit plusieurs livres de recettes de cuisine et s'essaya dans plusieurs essais sur la condition de la femme.

 

 

Depuis quelques temps Melaine se posait des questions sur sa vie, sur son vide affectif. Elle qui se masquait derrière ses écrits venait de découvrir dans les poèmes de Paul, le reflet de sa vérité, elle était comme lui mais n'avait pas osé en parler à quelqu'un. Elle profita que Paul s'était isolé sur le balcon pour venir lui parler .

 

 

 

 

Dois-je lui dire, va t il me comprendre c'est avec toutes ces questions dans la tête qu'elle aborda Paul.

-Tu sais, j'ai un aveu à te faire, je suis comme toi!

Paul la regarda d'un air interloqué

- Comment çà, lui dit-il.

-Oui enfin, tu comprends je suis .....

-Quoi ? lui dit Paul

-Tu pourrais faire un effort quand même, lui dit elle d'un air excédé. Je pensais que tu étais mon ami et que tu me comprendrais à demi mot.

La tasse de café à la main, Paul eut l'air surpris de l'attitude de Melaine.

-Oui, je suis ton ami, bien sûr, sans problème. Tu es comme moi, tu veux dire que les hommes t'attirent?

-Non, non le contraire, tu es bête! Tu te souviens de cette jeune blonde qui travaille au super marché ?

-Oui très bien, très sympathique.

-Et bien voilà, je suis avec elle.

Melaine articula avec difficulté :

-Je suis lesbienne.

-Ha ! bon ben, ce n'est pas grave, ce n'est pas une maladie, dit Paul en riant.

- Oui, je sais, toi tu peux me comprendre, mais tu connais ma famille, mon père va en faire une maladie si je lui avoue cela.

-Que comptes-tu faire alors?

-Ben voila, tu es le premier à le savoir : je vais partir avec Martine - oui c'est son prénom - pour aller vivre au Canada ; nous partons demain. Je ne sais pas comment le dire à Jacques, je compte sur toi pour me trouver la solution. Je ne veux pas lui faire de la peine. Et surtout, je veux garder notre amitié et malgré les kilomètres qui vont nous séparer, continuer notre aventure de l'écriture. Comprends-moi, mon départ n'est pas une fuite mais un salut. Peut-être que plus tard je pourrai l'avouer à mon père.

Paul resta silencieux, une larme brilla au coin de ses yeux.

-Je te comprends, mais je vais être terriblement seul sans toi. Toi seule me comprenais.

Les deux amis se serrèrent très fort et un lourd silence se posa sur leur amitié.

C'est Jacques qui d'un - et alors vous faites bande à part ? - brisa ce long moment où seul le battement de leurs cœurs leur rappela leur amour.

Ce battement remplit la pièce comme le roulement lancinant du tambour dans le Boléro de Ravel, fit comprendre à Jacques qu'il se passait quelque chose.

-Quoi ? dit il. Qui a-t-il ?

Paul resta silencieux et c'est Melaine qui lui avoua :

- Je pars Jacques

- Comment tu pars?

- Oui, je ne fuis pas ,je m'envole pour le Canada demain.

Cette simple phrase fit l'effet d'une bombe, le monde de Jacques était entrain de s'écrouler. Tous les étages de sa vie, tombaient les uns après les autres emportant dans un brouillard son sens de la réalité. Il ne pouvait concevoir, vivre sans voir ou entendre Melaine. Elle était la musique de sa vie, sans elle tout devenait ruine. Comme ces villages de la Somme, où il avait vu tant d'hommes mourir. Partir c'est mourir ou construire, elle avait choisi un nouveau départ. L'océan qui allait les séparer viendra le long des rivages lui rappeler ses mots, ses phrases qui aujourd'hui n'ont plus cours. Melaine, c'était ses points de suspensions qui lui permettaient d'écrire sans interrogation... son exclamation "je pars" venait de mettre un point final à son roman.

Jacques s'éloigna, pour cacher des larmes qui écrivaient sur ses joues son mal-être.

Puis il revint, prit Melaine dans ses bras et, tendrement, lui dit dans le creux de l'oreille " Pars! ne t'inquiète pas pour moi. Comme les plaines de la Somme, sur les ruines d'hier, il pousse des coquelicots aux couleurs de l'espérance."

 

Paul, Jacques Melaine, quelque soit l'endroit, entre eux il existe un fil rouge, ils seront toujours amis.

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Rédigé par Bernard

Publié dans #Ecrire sur des photos

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