MARA CELLO

Publié le 27 Décembre 2017

 

Je suis né voilà trois siècles environ, dans un petit atelier à Crémone, en Lombardie, entouré de nombreux frères et sœurs…

J'ai voyagé par-delà les mers et les terres, j'ai vibré au fil du temps et des cultures.

Antonio Le luthier m’a donné naissance par ses gestes sensuels, gravés dans la mémoire collective. Amoureux du métier jusque dans ses moindres détails.

Il sait poser sur mon corps galbé un vernis novateur, une huile dédiée aux peintres, colorée d'un camaïeu de rouges chatoyants. Un mélange unique.

Mais... l'apparence n'est pas tout.

J'ai vécu multitude de vies. Connu Mozart et ses frasques amoureuses, Maria puis Clémence, sa sœur, également charmantes. Un petit malin celui-là, il a su composer de savantes mélodies… Un vrai génie, frisant le burn-out, comment on dit maintenant..

Et puis Ludwig, un peu plus renfermé. Il m'a un peu cassé les cordes, si je puis dire, jusqu'à ce qu'il ferme à jamais ses oreilles. Un must pour un musicien, et si jeune encore... c'est la vie !

Avec le temps, ma mémoire se fissure. Pourtant…

Je me souviens. Début du 20e. Il y a un siècle…

Le bruit des canons. Je suis sur le dos d'un nouveau maître, Maurice Maréchal. Il a troqué la musique contre un brancard. Sur le champ de bataille, il file, se faufile, en quête de blessés, fissurés, pour les mener vers des soins.

Un jour l’obus tombe à nos pieds. Il me porte dans une vilaine housse trop souple, bien plus fragile que l'étui de bois de ma jeunesse dorée. Je sens encore l'odeur, les éclats. J'explose littéralement.

Mon maître est mal-en-point. Mais il se remettra. Et tentera l'impensable. Me faire renaître… de mes cendres.

Il sauve mon âme, l’essence de mon art. Et me construit un nouveau corps à partir de résidus... des caisses de munitions. En connaisseur amoureux, il placera mon âme sous un chevalet improvisé, entre un fond de caisse et une table d'harmonie. Puis quatre cordes dont je préfère ignorer l'origine. Quant à l'archet...

Je grince un peu, mais ouïes sont voilées, je suis un peu fébrile. Mais un poilu fier de l'être, la plus mélodieuse des gueules cassées. Chacun veut ma photo.. dédicacée.

Je donne concert sur les champs de bataille, je vibre et exhale le son de la vie, le son d’une voix… humaine, dit-on.

En zone neutre, le soir de Noël, pour des soldats aussi jeunes qu ‘éberlués d’être là, dans le froid, sous le charme d'une douce symphonie. La langue universelle, celle qui réconcilie.

Un moment fort que j'encaisse avec joie. Il y en eut tant d'autres. Le lustre d'antan s’est patiné avec la maturité.

Et puis cette jeune femme. Juliette. Fin du vingtième, je crois. J'ai presque retrouvé mon corps d'éphèbe, luisant, voluptueux. Je bombe mon torse avec fierté tandis qu’elle me caresse, entre ses jambes, je suis au paradis.. un nid douillet dont on ne se lasse pas. Je rêve et gémis de plaisir. Pourvu que ça dure... Je suis soliste dans l'orchestre d'harmonie. Sous le soleil, exactement.

 

***

Rédigé par Nadine

Publié dans #Musique et Danse

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