NANA
Publié le 4 Juillet 2017
Moi, Nana, je crèche sur le piquet du milieu en face du Negresco. Je suis la mouette starlette et dois user de coups de bec pour garder ma place. A ma droite, la Prom’ s’étend sur 5 km, à ma gauche sur 3 km et en face de moi s’offre un horizon illimité de poissons. Trop souvent dominée par de gros condors mécaniques polluants et assourdissants, cette mer riche de vie sous-marine est un garde-manger à portée d’ailes. Que demande le peuple ! Alors, quand mon estomac gargouille, je vais jouer à faire bonne pioche avec les petits poissons frétillants à la surface de cette mer scintillante. Enfin, bonne pioche pour moi….
Digérant mon festin, depuis mon piquet, je suis souvent réveillée par les touristes. C’est qu’ils me cassent les oreilles avec leur jeté de galets ! Ils ne peuvent pas s’empêcher de jeter les cailloux dans la mer et d’essayer de faire des ricochets. Un jour j’ai failli m’en prendre un dans l’aile ! C’est à croire qu’il y a marqué sur tous les galets de la Prom’ : jetez-moi, jetez-moi, jetez-moi ! Je me demande ce qu’ils ont dans le crâne. Ils s’emmerdent tant que ça chez nous ? J’ai beau leur lancer des cris aigus et les survoler en rase-mottes pour qu’ils cessent, rien n’y fait. Alors parfois, je me prends pour un kamikaze japonais et d’un coup d’aile à gauche VROUM, d’un coup d’aile à droite, VROUM j’agite le bout de ma queue et flop, un galet tout mou ! Je les canarde, ha ha ha et tiens flop encore un galet gris clair et gris foncé ! Je suis la seule à faire ça. Mes autres congénères se mettent à plusieurs pour m’en empêcher mais j’y arrive quand même. Elles, elles les aiment bien les touristes. Car elles foncent bec baissé sur leurs restes de pique-nique : miettes de chips, mie de pain, peau de saucisson. Le bouquet c’est la poubelle à gauche. Elles crèvent les sacs quand cela ne dépasse pas et mangent les restes. Moi, je ne suis pas une mouette de miettes et suis d’ailleurs plus grosse que toutes les autres. C’est pour ça qu’on m’appelle Nana, à cause des grosses Nana de Nikki. Et puis j’écoute les conseils de ma mère : pour être en bonne santé, je ne mange que du poisson, jamais de gluten ! Et souvent je profite d’un filet de pêcheur pour varier mon alimentation et manger autre chose que du poisson de surface.
Quand je m’ennuie, étant de nature voyageuse et voyeuse, je vais squatter gratuitement les balcons du Negresco pour mater la télé des humains dans leurs chambres. Parce que eux, je les connais déjà en long, en large, et en travers ! Mais la télé, c’est génial. Surtout BBC news ou CNN. Je fais le tour du monde en moins d’une demi-heure. Ceci dit, mon piquet reste mon trône préféré. Sentir le vent, de plus en plus fort d’ailleurs ces dernières années, regarder l’horizon, fermer les yeux et courber la plume pour ne devenir qu’une boule imperturbable aux aléas de la Nature, j’adore.
Pour égayer ma journée quand j’en ai marre du gris et du bleu, je m’en vais faire un tour du côté des maisons rouges, jaunes et vertes. Je survole la vieille ville et vais crécher sur le clocher de Sainte-Rita. Je me risque à descendre et à marcher sur le sol… des tables de restaurant. Surtout quand je vois des tagliatelles aux langoustines. Mais des pschitt, pschitt me chassent. C’est bizarre comment un petit mot peut faire fuir quelqu’un.
Un soir où mes congénères et moi contemplions, comme chaque année, les boules de feu multicolores éclatantes dans le ciel, nous avons dû attaquer de front un camion blanc qui était en train de détruire nos piquets. Nous avons beau essayé de lui crier dessus, de lui chier dessus, de lui faire pschitt pschitt, rien n’y a fait. Il ne s’est pas arrêté. Puis nous avons entendu un tac tac tac et tout s’est arrêté. Sans doute cela venait d’un homme de loi : la tacatacatique du gendarme….