HYPATIE D’ALEXANDRIE

Publié le 14 Juillet 2017

J'arrive du néant. L'éveil imprègne ma conscience par vagues, marée montante d'une vie oubliée ; mon identité émerge. Je m'appelle Hypatie d'Alexandrie. Je suis née en 370, j'ai... 45 ans ? Mon dernier souvenir remonte à cet âge-là, sur cette place où les chrétiens m'ont lapidée. J'ai perdu connaissance, je crois même que je suis morte ce jour-là, au printemps 415, et pourtant me voici... Où suis-je ?

Une pièce claire, austère, un lit bizarre, d'étranges objets avec des lumignons verts, rouges, qui clignotent comme des lucioles. Sur le mur face à moi, une boîte dans laquelle se succèdent des images en mouvement ; des personnages, humains miniature, s'agitent, parlent...

La porte de la chambre s'ouvre ; une jeune femme vêtue de blanc entre, me sourit, m'explique : nous sommes en 2017 dans un hôpital. Un lieu pour soigner les malades, précise-t-elle.

2017 !? Est-ce un canular ou un complot ? Veut-on me discréditer en insinuant que je suis folle ? Je ne suis pas malade. Ma raison est intacte… Je me méfie de l'évêque Cyrille ; il me déteste, il est capable de tout pour me nuire. J’ai peur. Mon cœur s'accélère, la machine auprès de mon lit émet un “ bip ” rouge, crache un morceau de papier couvert de sigles que la jeune femme déchiffre.

Ce n'est rien, me dit-elle, juste une petite arythmie…

 

Elle me regarde, de la compassion brille dans ses yeux ; elle me raconte : lors de fouilles archéologiques – j'ignore tout de cette pratique – ma dépouille, démembrée, ensevelie depuis deux millénaires, a été retrouvée. Comment ça, ma dépouille ?... Deux millénaires ?

Explosion dans ma poitrine. C'est donc vrai ; les chrétiens furieux m'ont tuée ce jour-là. Ma mort à coups de pierres ne leur a pas suffit, ils ont poursuivi l'horreur jusqu'à me découper en morceaux. Le dégoût monte au bord de mes lèvres, j'ai mal. J'entends encore leurs vociférations haineuses ; elles ont traversé les siècles. Ils ne pouvaient accepter que mes recherches, mon mode de pensée, aillent à l'encontre de leur dogme. J'enseignais la philosophie au Muséum d'Alexandrie, je disais à mes élèves :

 

“ Toutes religions formelles et dogmatiques sont fallacieuses et ne doivent jamais être acceptées comme absolues par quiconque se respecte. ”

 

Je suis morte au printemps 415 et pourtant me voici... Comment... ?

Le jeune femme perçoit mon désarroi, poursuit son récit : les savants ont effectué des prélèvements minuscules sur ce qui restait de mon corps. Grâce une technologie de pointe par clonage de gènes, de chromosomes – je ne sais pas trop, je ne connais pas ces choses-là – ils m'ont redonné vie dans un corps artificiel.

 

J'encaisse le choc. Mon âme tangue, s'arrime à ce nouveau corps comme un naufragé au rocher d'une île inconnue. Je me cramponne, secouée de sentiments contradictoires, quelques secondes, une éternité, je ne saurais dire... La houle s'apaise, laisse l'écume des émotions me bercer, déposer leur douceur au creux de mon être. Je suis en vie, la joie, l'espérance grandissent en moi, réveillent ma curiosité scientifique. Comment vit-on dans cette époque ? Quelles sont les connaissances acquises depuis 2000 ans ? Mes travaux en mathématiques et en astronomie sont-ils arrivés jusqu'ici ?

Très peu, me répond la jeune femme. La bibliothèque d'Alexandrie a brûlé, tous mes manuscrits sont détruits. Cependant, je suis connue pour être la première à avoir révélé la théorie d'un Système solaire héliocentrique elliptique. Une révélation capitale pour l'astronomie. Les scientifiques d'aujourd'hui me respectent, m'admirent. Il a fallu du temps pour valider cette thèse. Les religieux ont imposé leurs croyances pendant plus de mille ans ; ils ont persisté à placer la Terre au centre des mondes ; ils ont torturé et brûlé ceux qui pensaient différemment.

Mille ans d'obscurantisme ! Que de temps perdu pour la connaissance. Je disais souvent à mes élèves :

 

“ Réservez votre droit de penser parce qu'il est préférable de penser incorrectement que de ne pas penser du tout. ”

 

2017 semble être une époque plus tolérante. J'ai envie de tout savoir. La jeune femme désigne la boîte aux images animées. C'est une télévision, me dit-elle. Ça montre le monde.

Je regarde, j'écoute. Un homme explique que de nouvelles découvertes sont transmises depuis la planète Mars, des images du sol martien accompagnent ses explications. Je suis subjuguée ! Cette époque est fantastique ! Des images de planètes défilent. Ivresse... Je ne les connaissais que sous la forme de minuscules points scintillant dans la nuit. Elles viennent jusqu'à moi à travers l'espace, c'est prodigieux ! Je vais reprendre mes travaux, rencontrer les savants de ce siècle, les érudits et les philosophes. Il y a tant à découvrir, je trépigne.

La jeune femme en blanc tempère mon excitation. Il faut d'abord s'assurer de la réussite totale de ma résurrection. Mes “ pères ” scientifiques seront bientôt à mes côtés pour m'initier au monde de 2017.

Les planètes ont disparu. L'homme de la télévision, revient me visiter, l'air lugubre à présent. Il annonce une horrible nouvelle. Un homme a été décapité par des fanatiques religieux. Au nom de Dieu. Ces personnes proclament qu'Il leur ordonne de tuer les Infidèles. Ils recrutent des jeunes, les endoctrinent, les transforment en tueurs.

Mon excitation retombe, je suis effondrée. Rien n'a changé depuis deux mille ans, croyances et vérité se confondent encore…

 

“ Enseigner des superstitions pour des vérités est la chose la plus terrible. ”

 

Ma décision est prise. Je vais faire ce que j'ai toujours fait, je vais lutter pour éduquer les jeunes de ce temps, leur apprendre à penser plutôt qu'à croire. Je raconterai mon histoire, enseignerai la philosophie, la tolérance partout sur la Terre, par la grâce de la télévision. Comme ce petit colibri voletant dans ma mémoire millénaire, je ferai ma part... Peut-être est-ce là le but de ma résurrection ? Serais-je le nouveau messie du monde ? Jolie revanche, mes pères scientifiques ne manquent pas d'humour...

Rédigé par Mado

Publié dans #Patrimoine & Méditerranée

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