LES TEMPLIERS

Publié le 25 Mai 2017

LES TEMPLIERS
Les cavaliers avancent courbés sur leurs montures…

Le ciel était bas et le pas lent de l’équipage contribue à la somnolence du voyage. Ils sont tous les trois revêtus de leurs grands manteaux blancs marqués de la croix rouge à l’épaule gauche (l’épaule du cœur) mais cette tunique les protège difficilement du vent cinglant de ce début d’automne.

Une mule lourdement chargée les suit au terme d’une courte longe.

En contrebas du plateau, ils aperçoivent clairement les méandres du Tarn de même que le pont de pierre qui conduit à Millau.

De part et d’autre du pont, des hommes en armes… Certainement des Dragons du Roi.

Instinctivement ils s’assurent des armes portées à la ceinture : l’épée et poignard court sont bien là.

-Hum…ce n’est pas par là qu’il faut passer, il vaut mieux chercher un gué en aval, nous y serons plus en sûreté…

Nous étions en 1314 et le Roi Philippe IV dit le bel avait décidé de détruire l’Ordre du Temple qui faisait, d’après lui, de l’ombre à l’affirmation de son autorité. Il les ressentait comme un état dans l’état et avait lancé à leur encontre une campagne de calomnies.

L’histoire confirmera que tous les aveux obtenus sous les tortures de l’Inquisition ne furent que mensonges et manipulations.

L’Ordre des Templiers existait depuis deux siècles. De nombreux seigneurs lui avaient légué terres et redevances à tel point qu’il était devenu comptable du trésor royal !

Le grand maître des Templiers, Jacques de Molay, venait d’être brûlé vif (le 18 mars 1314) accusé « d’hérétique » sur un îlot de la Seine en plein cœur de Paris.

C’est à ce moment précis (après s’être dévêtu afin de ne pas souiller sa tunique par les flammes) qu’il proclamera les paroles suivantes :

- « Je meurs dans l’injustice des hommes, mais la justice divine saura rattraper dans l’année ce Roi félon et son Pape complice. »

Fin novembre de l’année 1314, le cheval de Philippe le Bel revint seul d’une promenade avec son royal cavalier. Le Roi s’était tué dans une chute qui restera toujours un mystère. L’Ordre était dissous, les membres non emprisonnés activement pourchassés. Les biens séquestrés par le pouvoir Royal, mais le trésor des Templiers ne fut jamais retrouvé.

Nos cavaliers avancent décidés, sans se retourner. La peur ne fait pas partie de leur quotidien, qui oserait attaquer des Templiers ? Eux qui ont protégé d’innombrables pèlerins des brigands de toutes sortes.

S’ils venaient à croiser des hommes du Roi en armes, il est certain que ces derniers éviteraient le combat sauf à être très largement supérieurs en nombre.

Ils se déplacent depuis la Commanderie de la Cavalerie sur le plateau du LARZAC, important réseau de routes Templières.

Bertrand se rappelle avec amertume ces mêmes chemins empruntés deux ans plus tôt… Informé par sa hiérarchie, d’une réunion souhaitée par le Roi et répercutée aux Connétables de chaque région de France.

Il s’agissait à l’époque, de trouver une solution à la pérennité de l’Ordre des Templiers, dont certains envisageaient même d’intégrer les régiments royaux.

Tous étaient venus en armes, confiants, pour participer à ce rapprochement avec les troupes du Roi. Le Roi Philippe le bel en personne n’avait-il pas insisté afin que ces rassemblements se fassent sous son autorité, que personne ne contestait d’ailleurs à commencer par les Templiers. La Commanderie de la Cavalerie s’était tout naturellement désignée pour la région du Larzac.

En y arrivant Bertrand avait remarqué quantité de dragons du Roi campant à proximité des bâtiments.

Cette concentration de troupes avait aiguillé sa méfiance.

S’il s’agissait de discourir entre responsables de l’Ordre et responsables des troupes royales, alors pourquoi tant d’hommes ?

Certes les troupes n’étaient pas déployées et n’encerclaient pas la Commanderie, mais la vision de cette multitude de tentes alignées ainsi que la fumée de ces innombrables feux de bivouac éparpillés au hasard de ces alignements ne lui parurent pas de bon augure !

Il s’en confia à plusieurs de ses compagnons et leur demanda de ne pas se rendre à cette réunion. Mais un soldat est un soldat, un ordre est un ordre. L’instruction de se présenter émanait des plus hautes instances de la hiérarchie des Templiers donc tout était clair. D’ailleurs l’affaire serait réglée dans la journée.

Certains plaisantaient en précisant qu’ils pourraient repartir avant la tombée de la nuit et rejoindre Saint Eulalie de Cernon ou leur compagnie était stationnée…

Bertrand s’en rappelle encore… Quel souvenir douloureux dut traverser l’esprit de ceux qu’il n’avait pas su convaincre. Lui prit la décision de s’écarter de son groupe et s’éloigna vers un bois visible à quelques lieux.

Là il y retrouva d’autres compagnons non convaincus, eux aussi, de la justesse d’un tel regroupement. Jean et Hugues jeunes novices se rapprochèrent de lui et formeront un groupuscule soudé pour la suite…

La suite… on la connaît malheureusement.

Une fois les Templiers regroupés à l’intérieur de la Commanderie, la troupe du Roi se déploya à l’extérieur des remparts, de façon à ceinturer l’ensemble du lieu et d’éviter toute fuite.

Des officiers pénétrèrent accompagnés d’hommes en armes et désarmèrent la totalité des chevaliers présents. Le rapport de trois contre un fut souvent employé. Malgré quelques rares rébellions (les Templiers convaincus de leur bonne foi ne comprenaient pas cette agression) les membres de l’Ordre furent désarmés et conduits sous bonne escorte à la forteresse de Najac, emprisonnés dans l’attente d’être « questionnés ». Cette sinistre besogne durera de nombreux mois. L’histoire retiendra de cette manœuvre le terme de première opération de police de grande envergure sur le royaume.

Bertrand, Hugues et Jean témoins sidérés de cette félonie eurent tout loisir pour réfléchir à la dignité et à l’indignité de l’homme…

Après l’étourdissement provoqué par l’annonce de la dissolution de l’Ordre, les trois Templiers prirent la décision de cacher à tout jamais le trésor dont Bertrand seul rescapé de ce désastre, connaissait l’emplacement. Ils retournèrent donc à Sainte Eulalie de Cernon et à la Cavalerie pour desceller ce qui n’était connu que d’eux.

Le temps s’est légèrement dégagé et ils atteignent maintenant l’extrémité du plateau. Le déplacement des chevaux, malgré leur pas lent, affole un important troupeau de moutons occupé à paître. Ceci les fit sourire et leur remet en mémoire la principale ressource de la Commanderie du Larzac. Le fromage de brebis additionné a de la poudre de pain de seigle moisie qui se vend très bien sur les marchés environnants et au delà. Mais c’est le passé, il faudra bien trouver autre chose pour l’avenir…

Ils débutent la descente vers les gorges du Tarn en contre bas, et au terme d’une courte distance, stoppent leurs montures. Les dragons du Roi aperçus en contrebas leur imposent de prendre un autre chemin.

Ils détournent leurs montures et empruntent un pli de la montagne plus à l’Ouest qui les cache des hommes en armes. Le chemin choisi, plutôt un sentier pour bétail, ne leur permet d’atteindre les bords du Tarn qu’à la nuit tombante.

Abrités par une végétation dense, l’oreille aux aguets, ils observent dans un grand silence la rive opposée. Aucun mouvement, ils décident donc de traverser le Tarn et de remonter vers le Causse. Leur destination finale est une ferme du Lévézou qui les fournit en fromage de brebis.

Après une nuit de repos à la belle étoile, ils entreprennent leur ascension vers le hameau de Vézins. Les cendres de leur feu de campement sont soigneusement recouvertes afin d’éviter toute fumée.

Ils arrivent à la ferme. Le bâtiment principal construit en pierres appareillées à joints larges laisse apparaître une couverture de lourdes plaques de lauze couleur gris sombre. La cour centrale, sur laquelle s’ouvre l’accès principal, est sommairement revêtue de pierres plates noyées sur une étendue de terre et d’herbe rase.

Deux autres bâtiments plus bas, les bergeries, flanquent le bâtiment d’habitation et ferment la cour sur deux autres côtés. Un muret d’une hauteur d’homme clôture la propriété. Bertrand met pied à terre et pousse le lourd portail métallique qui s’ouvre accompagné d’un grincement caractéristique.

Un chien berger noir aboie, l’attention de Benoît est attirée. Le berger stoppe la traite de ses brebis et sort sur le pas de l’étable. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il découvre ses visiteurs.

-Frères, quels risques énormes avez-vous pris en venant ici, la région grouille de soldats à la solde du Roi !

-Eh ! De quoi sommes-nous donc coupables ?… Nous n’avons pas la trame de gueux que l’on veut nous faire endosser !

La colère à fleur de peau provoquée par cette injustice ne pouvait que resurgir. Puis l’importance de leur déplacement l’emporte sur les turbulences de l’émotion.

-Nous n’avons rien mangé depuis hier Benoît, peut-on s’attabler et nous entretenir d’une affaire de grande importance !

Benoît s’empresse d’étaler sur la grande table, fromages, pains et cochonnailles. Les chevaux sont abreuvés et alimentés en foin…

Nos trois templiers lui firent comprendre que la mule est chargée de tous les objets liturgiques de valeur qu’ils avaient pu emporter, mais ne lui parlèrent pas des pièces d’argent constituant le principal du chargement.

-Une ferme comme celle-ci sera le dernier endroit où les troupes du Roi viendront chercher des objets liturgiques !

Benoît leur conseille divers endroits mais ne souhaite pas participer à l’ensevelissement au cas où il serait « questionné ».

Bertrand rétrécit son regard, reste songeur. Les autres vissèrent leurs yeux sur cette hésitation, il se décide enfin et prend la direction des opérations…

La croix palmée en pierre disposée en contre bas du hameau a la croisée des chemins, sera descellée. Deux sacs y seront enterrés, un contenant des pièces à huit pieds de profondeur et l’autre contenant les objets du culte au dessus à quatre pieds de profondeur. La croix sera scellée à nouveau, orientée Est/Ouest afin de donner la direction vers l’autre zone d’enfouissement…

A proximité de la croix palmée, près d’une résurgence aménagée en doline empierrée, permettant aux brebis de s’abreuver, quatre sacs bourrés de pièces seront enterrés en point haut de cette dépression, à huit pieds de profondeur, orientés selon les quatre points cardinaux, le premier en liaison avec la direction Est/Ouest de la croix palmée visible à une demi-lieue environ. Une brise légère se lève, les feuillages bruissent. Le choc des pelles et pioches se tait. Les trois hommes s’épongent le front et retournent à la ferme.

Une peau de chèvre tendue sur quatre piquets fit l’affaire. Un vague croquis, un texte sommaire, un serpent terrassé (un phantasme en sorte). Le tout roulé dans un broc de lait, scellé à l’arrière d’une mangeoire. Hugues se recula de quelques pas … Aucun repère n’attirait particulièrement le regard. Personne ne trouverait jamais ce parchemin. Ils se tiennent face à face et se mettent à psalmodier un chant puissant et monocorde d’une voix que rien ne peut effrayer. Benoît est prit d’un grand respect qui lui tient le dos droit, sans bouger, respirant à peine. Il sent qu’ils s’adressent à quelqu’un d’invisible, quelque part dans le vent naissant…

Quand ils eurent terminés, il leur demande ce qu’ils avaient dit.

Bertrand lui répond qu’ils avaient parlé au tout puissant, et sans attendre lui précise :

-Comme il nous a toujours protégés, nous lui avons demandé de protéger maintenant un homme simple de tourments injustes.

Enfin ils décident de laisser la mule à Benoît et quittent la ferme.

Les lourds manteaux des trois cavaliers font voleter quelques feuilles lorsqu’ils les mettent à l’épaule, le chien s’écarte la queue entre les jambes, oreilles baissées face à cette force développée…

Ils s’éloignent et prennent la direction du Sud – Ouest.

Cette direction choisie devait les conduire vers la frontière Catalane et leur permettre d’intégrer les « Templiers du Roy d’Aragon ». Ils y seraient reçus à bras ouverts et intégrés à l’Ordre de Calatrava. Leur expérience et leur détermination au combat les feront doublement apprécier.

Lorsqu’ils passent à proximité de la forteresse de Najac, où furent emprisonnés les Templiers arrêtés sans résistance (car sûrs de leur bon droit) ils descendent de leurs chevaux, mettent un genou à terre afin de prier pour leurs frères injustement punis. Reprennent leur chemin, soucieux de l’avenir mais en même temps rassurés par ce qu’ils venaient d’accomplir. A présent tous les malheurs du monde pouvaient glisser sur eux comme pluie sur le plumage d’un canard.

Ils cheminaient depuis une heure lorsqu’ils aperçurent en contre bas, sur l’ex route templière qu’ils avaient évitée, une escouade de dragons du Roi se déplaçant. Ils s’écartèrent dans des hauts buissons, attendirent que les premiers arbres de la forêt avalent la troupe. Cette même troupe lorsqu’elle arrive à proximité de la croix palmée en contre bas du hameau de Vézins, décida de la mettre à bas dans un grand éclat de rire (quel glorieux fait d’armes…).

Le socle résista et fut laissé en l’état.

Rédigé par Gérald

Publié dans #Ecriture collective

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