GÉRARD
Publié le 23 Mai 2017
En ce mercredi d'avril, assis dans son fauteuil, il regardait ce bout de rectangle blanc sur lequel, une main inconnue avait écrit son nom et son adresse. C'était le facteur qui lui avait apporté il y a de cela une heure. Dans la solitude de sa maison, il n'osait ouvrir cette lettre. Dans sa tête mille questions se bousculaient. Est-ce le résultat du concours ? Il se revoyait entrain de répondre aux questions qu'il trouvait dans son journal télé de chaque semaine. Avait-il gagné ce voyage de rêve aux Antilles ou était-ce la réponse de l'éditeur pour son manuscrit, son premier roman policier ?
Il se mit à rire en se rappelant qu'il se voyait "grand prix du jury pour une première œuvre".
Gérard, ancien fonctionnaire aujourd'hui à la retraite, vivait seul dans sa maison héritée de ses parents. La soixantaine grisonnante, Gérard était un passionné des mots, des couleurs, de la vie et sa principale activité de la semaine, c'était de participer à l'atelier d'écriture animé par Mado, la bibliothécaire du village. Le reste du temps, il peignait avec plus ou moins de talent des tableaux de fleurs et d'animaux.
Devant cette enveloppe, Gérard était comme un enfant devant une vitrine de Noël. Au comble de l'excitation, il prit dans le tiroir de son buffet son coupe-papier. Quand la pointe commença à déchirer l'enveloppe, Gérard sentit battre son cœur. Dans le silence de la pièce, on entendit le crissement du papier qui se déchire. La réponse était là sous la forme d'une feuille blanche pliée. Ses main se mirent à trembler :
" Ridicule, se dit-il, tu n'es plus un gamin. Allez ouvre, ce n'est qu'une feuille!"
Gérard déplia la feuille et la posa sur la table. Il commença à lire à haute voix :
"Monsieur, nous avons le plaisir de vous faire savoir qu'un technicien de l'isolation viendra vous rendre visite le jeudi 13 avril."
D'un seul coup le monde s'écroula. Ce n'était pas la lettre tant attendue. Déçu, il s'enfonça dans son fauteuil. Pendant un instant il voulut s'isoler du monde. La sonnerie du téléphone le sortit de sa torpeur. C'était Mado qui lui rappelait de venir à l'atelier. Depuis toujours elle l'encourageait à persévérer dans l'écriture, au moins une qui croyait en lui. L'atelier était pour Gérard un instant de bien-être où il fuyait la monotonie du quotidien. Il faut avouer que ce village était sans histoire.
Ce lundi-là Gérard doutait de lui, il n'avait toujours pas reçu de réponse. Le facteur levait désespérément les bras au ciel pour lui dire "Toujours rien". C'est en passant devant la librairie que son esprit fut attiré par le titre du journal.
QUI est l'auteur du grand prix du jury?
Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Il se précipita pour l’acheter et fit demi-tour, le journal sous le bras, pour essayer de comprendre pourquoi un tel mystère. Le journaliste mentionnait que le prix avait été accordé à une personne dont on ignorait le nom. Comment pouvait-on accorder un prix sans connaître l'auteur ? L'article lui donna, en partie, les réponses. Le jury, à l'unanimité, avait accordé le prix à la lecture d'un roman. Mais les feuillets sur lesquels étaient écrit le nom de l'auteur s'étaient égarés dans les différents services de la maison d'édition. Devait-il téléphoner ? Et si ce n'était pas lui ? Dans la tête de Gérard se bousculaient mille questions. Lui, le petit fonctionnaire, avoir un prix littéraire lui semblait présomptueux. Et pourtant, il fallait en avoir le cœur net. "Ils finiront par retrouver les feuillets disparus" se disait-il. Enfoncé dans son fauteuil, il téléphona à Mado, pour lui expliquer la raison de son absence et en même temps lui demander conseil. Elle lui répondit: " Je vais voir ce que je peux faire, t'inquiète pas, je te rappelle."
Combien de temps dura l'attente, la pendule du salon égrenait les secondes qui lui semblaient des heures. Il était vingt heures, quand le téléphone sonna. Fausse alerte, c'était le technicien qui lui confirmait le rendez-vous du lendemain. Gérard commençait à se raconter des histoires, quand Mado rappela. Alors, lui dit-il, anxieux!
Elle lui répondit: " Désolée mon cher Gérard "
Quoi ! ce n'est pas moi ?
"Non ! Ils ne donnent pas de renseignements par téléphone, il faudra que tu leur écrives et ils te répondront".
Bien, répondit Gérard, je vais le faire de ce pas et j'attendrai le passage du facteur et leur réponse.
...
Le faire de ce pas, Gérard, abasourdi ,se dit en lui même je le ferai demain. Ecrire, écrire pourquoi, pour qui. La nuit fut longue, peuplée par les personnages de son roman. La lumière du jour filtrait à travers les volets, les bruits du village qui se réveille, l'invitèrent à en faire autant.
Devant la tasse de café, il se rappela la discussion de la veille. Plus le temps passait, plus il doutait de la qualité de son écriture. N'avait-il pas commis des erreurs sur l'histoire, pas son histoire, celle qu'on écrit avec un grand H. Il se remit à relire les feuillets de son roman dont l'histoire se déroulait à l'époque médiévale, où la réalité se mêlait avec les légendes.
Est-ce le toucher du papier, l'odeur de l'encre et de la poussière, Gérard ferma les yeux et les images anciennes du temps de son enfance lui revinrent à l'esprit. L'écriture de la craie, sur le tableau noir, le toucher du cahier neuf où il écrivit pour la première fois son nom, avec la plume "sergent major" trempée dans l'encre violette. Que l'instituteur avait distribuée le matin dans l'encrier de porcelaine blanche, inclus dans le bureau. Tout lui revenait à l'esprit, les bouts de craie que certains malicieux laissaient dans l'encrier. Ah oui, il était loin le temps de son enfance, de son insouciance, le temps ou il eut son premier diplôme " le prix de babillage", en ce temps-là il parlait, l'écriture il ne savait.
Un bruit le sortit de sa torpeur, Gérard mit un temps pour revenir à la réalité et avec elle, son actualité. Il était là, dans son salon, face à son roman, tout lui revint en mémoire. Ne risquait-il pas de se couvrir de ridicule en écrivant à la maison d'édition.
Il se promit de faire lire son roman à monsieur Simon Mallavialle, le professeur d'histoire dont il avait entendu dire par Mado que c'était un spécialiste de l'époque médiévale.
Gérard chercha sur l'annuaire, le numéro de téléphone et il l'appela.
Allait-il lui répondre ?
Monsieur Simon Mallavialle lui signifia avec gentillesse qu'il se ferait un plaisir de lui donner modestement son avis.
Le rendez-vous fut pris pour le lendemain.
Devant lui, un peu angoissé, je lui racontai mon histoire, la perte par la maison d'édition des feuillets qui pourraient lui dire c'est vous, enfin, c'est moi.
Monsieur Malavialle lui avoua que lui aussi attendait une lettre et que tous les jours il surveillait le facteur pour une lettre qui n'arrivait jamais.
Il trouva mon roman fort intéressant, me signala juste une petite erreur sur la tournure du style épistolaire m'encouragea à poursuivre mon action auprès de la maison d'édition et me proposa de lui envoyer la correction et de nous retrouver au café de chez Lucie dans une semaine. Il faut avouer que je sortis de son entrevue avec beaucoup de fierté. Etre reconnu par un professeur me remplis de joie. Arrivé à la maison, je m'installais à mon bureau. J'écrivis la lettre à la maison d'édition et entrepris la correction de mon roman suivant les conseils de monsieur Malavialle. La première lettre fut relativement aisée à écrire tandis que pour la correction de mon roman, je m'empressais de relire les notes que j'avais écrites lors de mon entrevue avec monsieur Malavialle. Il faut dire que le style épistolaire n'est pas une chose simple à écrire. Le "salutatio, le captatio, le narratio, le petitio" et enfin la conclusion étaient jusqu'à ce jour, pour moi, aussi incompréhensibles que le latin. Heureusement, les explications de monsieur Malavialle étaient claires.
Je lui écrivis ma correction en ayant au préalable fait un brouillon.
MONSIEUR GERARD PIERREDEFONTAINE à MONSIEUR MALAVIALLE SIMON, PROFESSEUR D'HISTOIRE
Veuillez trouver ci après la correction de mon roman.
le salutatio: Monsieur l'enquêteur en chef à Monsieur le Marquis de Mallemorte
le captatio: Hier dans les bois de Cythère, prés de Mallemorte les Avignon, une jeune femme fut retrouvée morte en partie déshabillée.
le narratio: C'est en menant son troupeau au pré que le sieur Bernardo a fait la macabre découverte. Il se dépêcha de venir me narrer l'histoire.
le petitio: Je vous demande de me saisir de l'affaire, d'autant que la jeune fille est une enfant du pays dont les parents tiennent boutique au centre du village.
la conclusion : Ce sera avec plaisir que je diligenterais mon enquête pour vous servir et je montrerai à la populace de notre ville que la justice de Monsieur le Marquis est sans défaillance.
Du village, le 28 mai de l'an de grâce 1417.
En espérant avoir été à la hauteur de vos explications, et dans l'attente de vous retrouver à votre convenance chez Lucie, veuillez agréer mes sincères salutations.
Mes deux lettres terminées, je m'empressais d'aller les poster. L'attente recommença.
Dans ma tête, je commençais à m'imaginer le voyage de mes lettres. J'avais pris la précaution de bien les affranchir avec les timbres de mon carnet et surtout d'écrire mon nom et mon adresse au dos des enveloppes. Une fois envoyées par la poste, les voila livrées à elles-mêmes, avant d'être déposées dans une boite aux lettres sur laquelle est marqué le nom du destinataire. Combien de temps allaient-elles rester dans cette petite case pour qu'enfin monsieur Mallavialle ou la secrétaire de la maison d'édition puissent déchirer leur enveloppe et lire ce que j'avais écrit.
Le soir je m'endormis la tête pleine de mots. Ce n'est que quelques jours après que le téléphone sonna, c'était monsieur Malavialle qui me disait avoir bien reçu ma lettre et qu'il m'invitait a nous retrouver chez Lucie ce mercredi.
Gérard se réveilla tôt, pour être à l'heure au rendez-vous. Onze heures venait de sonner au clocher de l'église, quand Gérard poussa la porte du bar restaurant chez Lucie. La salle était plongée dans une demie obscurité, ce qui apportait une fraîcheur ambiante en ce début de juillet.
Gérard: Bonjour!
Lucie: Bonjour, vous avez réservé ?
Gérard: Oui pour deux personnes au nom de Pierre de fontaine.
Lucie: Ah oui, installez-vous la table près de la fenêtre.
Gérard s'assit et regarda la place du village où des enfants jouaient. Tout à ses pensées, il ne vit pas arriver monsieur Mallavialle qui lui dit:
"Bonjour, comment allez vous".
Gérard se le va un peu confus et faillit renverser la carafe d'eau.
"Bonjour Monsieur Malavialle"!
Simon: Vous pouvez m'appeler Simon ça sera plus facile que Monsieur et moi je vous appellerai Gérard si vous le voulez bien.
Gérard balbutia un oui tout en tendant une main tremblante.
Ils s'assirent face à face, Gérard n'osait pas poser les questions qui lui brûlaient les lèvres, concernant son roman. Un silence commençait doucement à s'installer quand Lucie vint leur demander :
" Vous prendriez bien un apéritif avec cette chaleur"
Gérard en profita pour changer et ne pas montrer sa gêne devant son imminent interlocuteur.
Simon qui semblait s'amuser devant l'attitude de Gérard, habitué de voir comment les gens se comportaient devant ses titres professionnels. Il répondit à Lucie « oui deux anisettes s'il vous plaît » et se tournant vers Gérard « avec ou sans glaçon ? »
La glace venait de se briser et Gérard sentit dans la personnalité de Simon une grande simplicité. C'est d'ailleurs Monsieur Mallaviale qui parla du roman en le tutoyant.
Simon : Je dois t'avouer que j'ai été très surpris de la connaissance que tu as sur les enquêtes policières dans le monde médiéval.
Gérard eut du mal entre le tu et le vous : Vous savez par mon métier d'archiviste j'ai eu pendant plus de quarante ans l'occasion de me documenter.
Simon: Alors je peux te dire que ton roman est une réussite et que la correction que tu as apportée est parfaite.
Gérard se passa la main devant les yeux pour cacher son émotion. Là encore Lucie lui sauva la mise par le service du stockfisch. Le repas se passa et Gérard et Simon parlèrent de tout et de rien, comme deux amis qui se seraient connus depuis de nombreuses années.
Le moment de se séparer arriva.
Simon : Gérard j'ai été très content de faire ta connaissance. Je t'invite à ma prochaine conférence sur les signes ésotériques et je présenterai Monsieur Rémy Taillade archéologue avec qui tu pourras discuter de ton livre.
Gérard: Merci Simon, vous, pardon, tu viens de me redonner le moral et par ton jugement la reconnaissance de mon travail.
Ils se quittèrent et Simon se retourna : Surtout tiens-moi au courant pour la maison d'édition.
Gérard traversa la place comme dans un rêve ; quatorze heures sonnait au clocher, il ne remarqua même pas l'âne de Louis qui rentrait tout seul à l'écurie.
La tête pleine des mots d'encouragement de son nouvel ami Simon, Gérard s'endormit rêvant cette nuit-là de prix littéraire et d'histoires médiévales.
Le lendemain matin, la journée s'annonçait belle, le village se réveillait doucement, l'air était rempli des odeurs de pain frais du boulanger d'à côté. Il prit son café en lisant le journal qui résumait le résultat des votes des élections législatives. Onze heures sonna au clocher de l'église quand il entendit taper à sa porte, c'était le facteur. Il lui tendit une lettre..... la lettre de la maison d'édition. Fort des paroles d'encouragement de Simon, il déchira l'enveloppe et lut:
Monsieur, nous avons bien reçu votre courrier en date du 8 juin, en réponse nous avons le regret de vous faire savoir, que ce n'est pas vous l'heureux gagnant du grand prix du jury. Néanmoins votre roman a attiré l'attention de nos correcteurs et nous serions désireux de vous rencontrer afin d'établir avec vous un contrat d'édition. D'autre part nous vous encourageons à continuer d'écrire. Veuillez agréer…
Gérard ne lut pas les formules de politesse ; il était déçu et heureux à la fois. Il était aux anges. Il s'empressa de téléphoner à Simon qui fut ravi de la nouvelle.
La Nouvelle, voila un style que Gérard n'avait jamais osé écrire. Il fallait, qu'il partage sa joie et il se précipita chez Lucie où il était sûr de retrouver Mado qui y prenait son café tous les matins.
Lucie et Mado furent heureuses pour Gérard et quand il annonça qu'il allait s'essayer dans la Nouvelle, c'est Lucie qui lui fournit matière à réflexion.
" Tu devrais écrire sur le village, viens chez moi tous les jours et écoute. Ici se rencontrent, soit au comptoir, soit à table, Louis et son âne, Rémy l'archéologue et sa femme Jade, Bernadette la receveuse des postes et son employé Philippe, enfin, ils ont tous une histoire et je dirais même des histoires qui, pour un homme de lettres comme toi, seront source à l'écriture.
Et c'est ainsi, que Gérard se mit à écrire, non pas une nouvelle, mais une saga sur le petit monde de son village ou à part le changement des saisons il ne se passait jamais rien.
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