LAISSE LA LUNE À MA FENÊTRE
Publié le 10 Août 2016
Le sport se pratique vraiment n'importe où dans le recueil "Ballon rond et plumes d'azur"...
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Non, ma fille, non ! Ne ferme pas les volets, laisse la Lune à ma fenêtre. Elle a la délicatesse de me rendre visite, pleine et ronde, gorgée de soleil. Elle illumine mon crépuscule, ravive un de mes plus beaux souvenirs.
Vous n'étiez pas encore nés, les enfants. Vos parents avaient alors votre âge et moi, j'avais fait une promesse insensée à mon père. Un jour de 1971, j'ai eu l'opportunité de pouvoir la réaliser. Il a fallu ruser, trafiquer mon accoutrement pour y insérer le matériel, convaincre mes supérieurs. Finalement, j'ai obtenu l'autorisation. Tout était si réglementé, pesé au gramme près ! Ah, oui ! Il a fallu toute une stratégie pour embarquer tout ça, mais j'y suis parvenu.
Le jour J, je n'en menais pas large. Je redoutais une complication de dernière minute, un problème de sécurité, mais j'ai passé les contrôles sans encombre. Je me suis installé avec l'équipage. Compte à rebours, mise à feu... on s'arrache ! L'azur vire au noir, la Terre s'éloigne, se transforme disque bleu strié de nuages blancs... Apollo 14 en orbite autour de la Lune et moi qui alunit. C'était grandiose ! Je l'avais tant attendu ! Savez-vous ce que j'ai dit quand j'ai posé le pied sur la Lune ?
« La route a été longue, mais nous y sommes ! »
J'ai effectué la mission que l'on m'avait confiée, puis j'ai tiré de ma manche le club démontable conçu spécialement pour cette occasion et deux balles. Et j'ai fait un swing ! C'est ce geste-là que j'avais promis à mon père, grand amateur de golf.
« Oui, j'ai joué au golf sur la Lune ! J'ai failli rater la première balle parce que j'étais gêné par ma combinaison spatiale et elle a lamentablement échoué dans un cratère tout proche. La seconde, grâce à la faible gravité, est partie sans bruit à des kilomètres et des kilomètres, semblant ne jamais vouloir alunir. Mais mon souvenir le plus fort, ce n'était pas d'être sur la Lune. C'était de voir la Terre. De l'émotion à l'état pur. Vue de là-haut, elle avait l'air si fragile. »
J'ai tenu ma promesse, j'ai joué au golf sur la Lune. J'y ai laissé les deux balles. Elles sont figées quelque part aux alentours des collines lunaires de Fra Mauro. Mon club, lui, est retourné sur Terre. Il est exposé au Musée du Golf de Far Hills, je crois...
Aujourd'hui la Lune, gardienne silencieuse de mon serment, me regarde par la fenêtre. Elle recueille mes derniers souffles, et quand je serai poussière, je ne veux pas de stèle du genre « Ci-gît Alan Shepard, le golfeur de la Lune ». C'est à l'océan bleu de la Terre que je veux retourner...
(Les deux textes en italique sont les véritables paroles d'Alan Shepard.)