À VOS MARQUES...
Publié le 4 Août 2016
Handisport et course à pied dans le recueil "ballon rond et plumes d'azur"...
*****
La cordelette enserre mon poignet. Les pieds dans les starting-blocks, j'attends le signal. À mes côtés, Louis se positionne. Ses baskets crissent doucement en se calant pour le départ.
Je suis en position, prêt à m'élancer en même temps qu'elle. Dernière vérification : la cordelette qui nous relie n'est pas trop tendue, ses doigts ne mordent pas la ligne de départ. Tout va bien. Elle paraît concentrée, hermétique derrière ses lunettes occultantes.
PRÊTS... BANG !
Repoussant de toutes mes forces les starting-blocks, je me propulse avec la sensation de tomber dans le vide. Très vite, le bonheur de courir pulvérise le vertige sans fond qui me saisit à chaque départ de course. Auprès de moi, Louis épouse ma foulée ; sa respiration puissante et régulière me donne le rythme, un vrai métronome ! Dans le noir qui m'enveloppe, je n'ai que la cordelette comme ancrage. Le noir ! Il paraît que c'est ainsi que se nomme l'unique couleur que je perçois. Les couleurs sont une pure abstraction pour moi, je suis aveugle depuis toujours.
Je cours sur la nuit. Je cours sur la lumière que m'apporte le souffle, une brillance intime, cachée au fond de mes poumons, cachée dans la jubilation de tout mon être. Courir, foncer, certaine de ne pas percuter un obstacle, courir sans crainte ni contrainte, le corps libéré par la vitesse. Louis m'indique les courbes de la piste, veille à ce que je reste bien dans mon couloir.
La courbe de la piste approche, je frôle son bras. Elle comprend, amorce le virage. Je cours à sa hauteur, en m'assurant que la cordelette reste souple entre nous. Une cordelette trop tirée, c'est la disqualification.
Les foulées de Louis martèlent le sol, propagent une onde sourde sous les miennes. La cordelette entre nous, comme une amarre, me rassure. Je fends l'air opaque. Il s'écarte en remous légers, frais sur ma nuque en sueur. Le revêtement de la piste, un peu caoutchouteux, me procure une sensation aérienne. Je m'envolerais presque...
Le sprint final approche, je le sais par d'infimes changements de rythme. J’accélère.
La ligne d'arrivée à quelques millièmes de secondes. Je me décale légèrement, pour être juste derrière elle. C'est sa course, pas la mienne. Moi, je ne suis que ses yeux. C'est à elle de franchir la première la ligne d'arrivée.
Des applaudissements m'accueillent. Louis me serre dans ses bras, murmure à mon oreille : “ Félicitations ! ”
Yes ! Je l'ai, ma médaille !!!