HYMNES
Publié le 20 Avril 2016
"Quand les mots rencontrent la musique..." ils se transforment en nouvelle...
HYMNES
"Cela est divin et rare
d'ajouter un chant éternel
à la voix des Nations"
Michelet
1792 :
Je dormais dans les mots d'une affiche, dans le patriotisme des hommes, dans la fraternité d'une nation. Mon père, le capitaine, m'a réveillée.
Tout a commencé en avril 1792. Depuis trois ans, la France a renversé les despotes. En juillet 1789, le peuple a pris la Bastille, les citoyens, le pouvoir. Les vieilles monarchies européennes craignent la contagion, elles forment des coalitions pour combattre le jeune état révolutionnaire.
À Strasbourg, l'Armée du Rhin veille sur la frontière. Mon père le capitaine, affecté au bataillon “ Les enfants de la Patrie ”, s'y trouve déjà depuis un an. Poète et musicien, il est familier des milieux artistiques de la ville. Le maire, le baron de Dietrich, l'accueille volontiers dans son salon lors de soirées où se côtoient hommes politiques, officiers, musiciens. Le soir du 25 avril, le salon est en effervescence ; le maire vient de recevoir la nouvelle : le 20 avril, la France a déclaré la guerre au roi de Bohême et de Hongrie. Point de musique ce soir, le salon n'est plus que brouhaha. Dans les discussions, surgit l'idée d'écrire un chant hardi, pour encourager les soldats qui montent au front afin de remplacer le traditionnel “ Ça ira, ça ira ”.
“ Trouvez-nous un beau chant pour ce peuple soldat qui surgit de toutes parts à l'appel de la patrie en danger et vous aurez bien mérité de la Nation ”, demande le baron au capitaine poète.
Quand mon père repart, il longe les murs de la ville sur lesquels les affiches des Amis de la Constitution appellent la population à se battre :
Aux armes, citoyens ! L'étendard de la guerre est déployé ! Le signal est sonné ! Aux armes ! Il faut combattre, vaincre, ou mourir.
Aux armes, citoyens ! Si nous persistons à être libres, toutes les puissances de l'Europe verront échouer leurs sinistres complots. Qu'ils tremblent donc, ces despotes couronnés ! L'éclat de la Liberté luira pour tous les hommes. Vous vous montrerez dignes enfants de la Liberté, courez à la Victoire, dissipez les armées des despotes !
Marchons ! Soyons libres jusqu'au dernier soupir et que nos vœux soient constamment pour la félicité de la patrie et le bonheur de tout le genre humain !
Mon père s'imprègne de ces mots qui résonnent si fort à son cœur patriote. Il passe la nuit à composer, accompagné de son violon ; il me réveille, me crée. Au matin, je suis prêt. Je vais sillonner la France, galvaniser les troupes avec le “ Chant de guerre de l'Armée du Rhin ”. Belliqueux et fraternel à la fois, au diapason des valeurs de la France, j'appelle à la paix malgré le combat comme le suggère ce couplet :
Français, en guerriers magnanimes
Portez ou retenez vos coups!
Épargnez ces tristes victimes
À regret s'armant contre nous
Les paroles de ce chant, recopiées mille fois, imprimées dans les journaux, distribuées partout, voyagent. Je les accompagne sur les routes, dans les villes, les garnisons. Parti de Strasbourg, je traverse la France, frappe le Midi, reviens comme un écho. Me propageant sur tout le territoire, je participe à l'unité nationale. Les hommes se lèvent. Les Fédérés partent de Bretagne, de Montpellier, de Marseille. Moi, je marche au pas avec eux.
Au Moyen-Âge, la Geste chevaleresque chantait les exploits des seigneurs par la voix des troubadours et des jongleurs. Moi, je chante pour la liberté, l'égalité, la fraternité. Au fil des jours, je deviens symbole, je deviens révolution, république, je deviens peuple de France. Je porte le courage, j'exalte la grandeur. Les mots pulsent au rythme d'un cœur qui bat, qui combat, comme un cri fédérateur, un fort sentiment d'appartenance.
À Marseille, le “ Chant de guerre de l'armée du Rhin ” subjugue les Fédérés. Début juillet, ils se préparent à monter à Paris pour combattre l'invasion et défendre “ la patrie en danger ”.
Tout est soldat pour vous combattre
S'ils tombent, nos jeunes héros
La France en produit de nouveaux,
Contre vous tout prêts à se battre.
Ils leur faudra presque un mois pour parvenir au terme de leur voyage. Dans les villes et villages qu'ils traversent, je suis là, avec eux, à pleine voix. Le chant donne du sens, les mots rassemblent. De partout, des volontaires les rejoignent. Une fois, alors que retentit Amour sacré de la Patrie, tous les citoyens se mettent à genoux. Le député Barbaroux, notre chef, debout sur une chaise, en avait les yeux rougis. Le peuple communie dans ce “ Te Deum révolutionnaire ”.
Le 30 août, nous rentrons dans Paris, le “ Chant de guerre de l'armée du Rhin ” en tête. Le moment où les Marseillais agitent leurs chapeaux et leurs sabres en criant Aux armes, citoyens fait frissonner. Les mots ont rencontré la musique sur la grande pensée de l'affranchissement du monde. Les Parisiens, sans se soucier de mon titre originel, me baptise l'Hymne des Marseillais, puis la Chanson Marseillaise. Le 10 août, nous participons à l'insurrection du palais des Tuileries aux côtés des sans-culottes. Le roi est fait prisonnier. Ce jour-là, j'ai vu la fin d'une monarchie vieille de près de mille ans, j'ai vu naître la république ; ce jour-là, je suis devenue “ La Marseillaise ”.
Je suis née dans les mots d'une affiche, dans le patriotisme des hommes, dans la fraternité d'une nation. Mon père, le capitaine Rouget de Lisle, m'a réveillée. Allons enfants...
1871 :
Un jour, d'autres mots ont rencontré ma musique.
En juin 1871, la Commune de Paris, insurgée, a été écrasée. Dans les prisons, les Communards attendent la mort. Le poète Eugène Pottier, révolutionnaire et goguetier, écrit un poème en l'honneur des milliers de victimes de la Semaine sanglante, de l'Internationale Ouvrière, et le dédie plus particulièrement à Gustave Lefrançais, instituteur républicain et anarchiste. Poésie puissante, née de la rébellion des opprimés, de la solidarité ouvrière des nations, elle répond à l'appel de Karl Marx “ Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ”. L'Internationale est son nom.
La tradition goguettière veut qu'un auteur chante son poème sur un air connu. Tout naturellement, L'Internationale sera entonnée sur l'air d'un autre chant révolutionnaire, le mien, La Marseillaise. Comme une continuité, nous nous rejoignons sur la musique. Mais si moi je glorifie la patrie et la liberté, elle, dénonce la misère de ces “ damnés de la Terre ”, ces “ forçats de la faim ”, condamne les prélèvements effectués sur les salaires des ouvriers :
Les rois de la mine et du rail,
Ont-il jamais fait autre chose,
Que dévaliser le travail ?
Elle revendique l’égalité sociale, l'égalité de droits en reprenant les mots inscrits sur le drapeau de la Commune, « Pas de droits sans devoirs, Égaux, pas de devoirs sans droits ! ».
Des mots qui m'ont vue naître, prononcés par le révolutionnaire Babeuf en 1790. Des mots cités par Karl Marx en 1864 dans le préambule des statuts de l'Association Internationale des Travailleurs. Des mots, comme un pont dans le temps, de la Révolution française au communisme international.
Mes couplets patriotiques, remplacés par les vers militants du combat prolétarien, créent un sentiment d'appartenance sociale. C'est la “ lutte finale ”, celle des classes. Moi, je ne corresponds plus aux aspirations du monde du travail. Félix Pyat, personnalité de la Commune de Paris, l’a pressenti : « La Marseillaise de l’avenir, sera sans doute le chant de guerre contre ce qui restera d’ennemi à l’homme, le chant du travail dans sa lutte avec les éléments et contre la tyrannie de la matière… »
L'Internationale ne peut survivre sur ma musique. Ma musique fait corps avec mes paroles, je suis unique, je suis nation. Nous nous séparons. Je deviens l’hymne national français en 1879 ; elle, s'endort, dans l'attente des notes qui la réveilleront pour en sublimer l'émotion, pour en illuminer la substance idéologique. Son auteur, condamné à mort par contumace, s'exile aux États-Unis en 1873 ; il reviendra en France après l'amnistie de 1880. L'Internationale sera publiée en 1887 et remarquée par un poète guesdiste, Charles Gros, qui la communique à la section lilloise du parti ouvrier. Le maire de Lille demande alors à Pierre Degeyter, ouvrier et musicien, de la mettre en musique. C'est là le début de sa prodigieuse épopée.
Les mots ont trouvé leur rythme. L'Histoire a trouvé ses mots. Nous avons chacune nos valeurs. Je suis restée, plantée comme un drapeau tricolore au cœur de la France ; elle s'est envolée, rouge de révolte, tout autour de la Terre. Traduite dans une multitude de langues, elle accompagne les luttes sociales, les espoirs révolutionnaires ; elle porte, suivant le mot du militant socialiste et écrivain prolétarien Marcel Martinet, « la douleur et l’espérance de tant de millions d’hommes déshérités ».
Les mots ont rencontré leur musique, les hommes se sont levés. Les hymnes, comme des repères dans la marche du monde, en balisent le chemin. Pourtant, que sont devenues les idées généreuses de partage, de fraternité, de liberté ? Pourquoi faut-il que toujours, elles meurent sous quelque dictature politique ou économique ? Peut-être est-il de se réveiller à nouveau ? Debout, l'humanité...